TIRONS LES ROIS

Publié le 24 janvier 2011

« Je ne connais point l’humanité qui égorge
les peuples et qui pardonne aux despotes »

Maximilien Robespierre, Convention, séance du 16 janvier 1793

Peut-être, alors que nous venons de finir la période
« des fêtes », serait-il temps de faire œuvre d’iconoclaste
et de repenser la signification
du choix officiel des jours de fête par le Pouvoir. Par
ce biais, que d’aucuns nommeraient
« culturel », puisque on
met désormais ce terme à toutes
les sauces, le Pouvoir
démontre en définitive qu’il est
le maître de la mémoire éphéméride et ce faisant, il affirme
encore et toujours sa prédominance idéologique. C’est
quelque chose de souvent constaté en matière religieuse, mais
c’est également vrai en ce qui concerne les événements historiques.

Comme le
choix des heures de
travail, de repos,
d’été ou d’hiver,
celui des « jours de
gloire », même s’ils
sont les bienvenus
parce qu’on peut se
reposer, n’est jamais
anodin. Cette maîtrise
du calendrier
est une autre manifestation
de la domination
de l’idéologie
capitaliste, ainsi propagée et défendue
par l’État, puisque, avec elle, va
triompher sa vision des faits historiques.
De plus, elle insinue de la
sorte l’idée qu’elle posséderait une
capacité morale à juger du bien et du
mal.

Constatons que pour parvenir à
ce paradigme, qui explique que les
actes des exploités seront à l’envi
oubliés ou caricaturés suivant les critères
des exploiteurs, comme ce fut
le cas en 2005 pour la révolte dans
les banlieues, il a fallu créer toute
une batterie de considérations
« morales » souvent frappées du
sceau des « sciences humaines », qui,
en se vautrant dans la « tolérance » et
le « pacifisme » comme le cochon dans la confiture, ont érigé une nouvelle
version de l’humanisme. Au
final, ce dernier consent parfois à
s’émouvoir du sort qui est fait aux
populations... Mais il en condamnera
toujours, sans aucune nuance,
leurs actes de violence lorsqu’elles en
viennent à se révolter. Toutes ces raisons
ont forgé dans l’esprit de tout
un chacun un espèce de réflexe
pavlovien.

Ce qui fait par exemple que l’idée
de célébrer en ces jours épiphanesques
la décapitation
publique du Roi
de France passe
immanquablement
aux yeux de l’opinion
générale pour une
monstruosité odieuse
et sanguinaire. Et
bien, dans un monde
où le capitalisme se
taille la part du lion
grâce à une interminable
série de forfaits
qui ont pour résultat
de réduire à une misère
souvent mortelle
(au sens le plus direct du terme) des
millions d’être humains, voilà un
paradoxe qui mérite d’être souligné
comme une illustration des fruits
modernes de cette bienpensance de
crocodiles.

On peut justement observer l’efficacité
contemporaine de cette dernière,
dans les débats qui ont porté
sur la condamnation des épisodes de
violence révolutionnaire lors de la
Révolution française. A ce moment
c’est bien le Peuple, les paysans des
villages, les prolétaires des villes [1],
qui est passé massivement à l’action,
mais pour l’essentiel, ce n’est pas lui
qui a écrit cette histoire, c’est la
bourgeoisie, dont les élites ont largement
pu commenter ces événements
en faveur des possédants [2].

A considérer l’importance de
cette mythologie de 1789 sur la
construction des institutions politiques
actuelles, qui s’en réclament
les héritières alors que leur but n’est
que de faciliter l’exploitation et l’injustice
sociale, on peut noter que si
toute une prose livresque n’avait pris
le soin de dénaturer le sens de cette
période, ces institutions seraient perçues,
à fort juste titre, comme étant
contre-nature. Ce faisant on ne s’étonnera
pas que ce qui a couvert les
crimes de la bourgeoisie industrielle
d’hier et ceux du capitalisme mondialisé
aujourd’hui, c’est cette récupération
d’un vocabulaire inspiré de
la Révolution, tel le célèbre triptyque
gravé sur le fronton de toutes les
mairies de France et de Navarre, en
décalage total avec la réalité du quotidien.

Rappelons donc que, si l’aristocratie
a reculé de façon définitive en
abandonnant ses privilèges dès l’été
de 1789, on le doit aux châteaux et
titres de propriété brûlés dans les
campagnes et aux quelques nobles
lynchés, certes avec peu de délicatesse,
dans les villes. Pourtant on constate
à la lecture de la plupart des
ouvrages s’y rapportant que la violence
révolutionnaire est considérée
au mieux comme un coup de folie,
au pire comme le mal absolu. Le
point d’orgue de cette indignation
d’opérette, c’est l’exécution de Louis
XVI, avec toute une cohorte d’historiens
et de romanciers qui s’essaye à
ne voir là qu’une exécution capitale
parmi tant d’autres. Ils n’ignoraient
pas pourtant que suivant le livre des
Rois, référence de la doctrine
monarchique de droit divin, « le sacre
(de droit divin) est le lien qui unit le Roi
à Dieu, et le canal par lequel la puissance,
l’assistance et le rayonnement de la majesté divine se communiquent au Roi
au moment où il devient l’oint du
Seigneur "personne sainte et sacrée" »

Redonner mensongèrement un
caractère profane à la royauté était et
reste le subterfuge indiqué pour rallier
à soi les bonnes âmes sur le sort
tragique de celui qui est ainsi redevenu,
par la magie d’une omission, un
simple individu. Tous ces trémolos
de circonstances étaient nécessaires
pour permettre à la bourgeoisie
affairiste de relever les totems, les
tabous, qui sont nécessaires à son
impunité et pour parvenir ensuite à
sa confortable position de juge et
partie pour des actes dont elle est
responsable. En réalité dans cette
personne du Roi, la pression populaire
qui s’exerçait jusqu’au sein de la
Convention [3] voulait abattre non un
être humain mais la plus sacrée des
institutions [4]. Dès lors, la signification
de la mise à mort du roi était
que le Peuple déniait à ses bourreaux
le droit de lui faire la morale, aussi
divine soit elle.

Gracchus

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