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1 ripou, ça va. 3 ripoux, bonjour les dégâts

Publié le 16 novembre 2011

Plusieurs grosses affaires, mettant en cause des « super-flics » viennent d’éclater, les unes après les autres, en quelques semaines en France.

Les gros poissons

Il y a eu tout d’abord Marseille. Un « officier expérimenté, bien noté » est tombé... de haut. Il avait dirigé la BAC locale avant d’être promu commandant à l’état-major des Bouches-du-Rhône. Une place bien pratique pour consulter les fichiers, être au courant de tout et informer les « relations ». Comme le dit pour le défendre un copain du ripou, dans le métier « Il faut avoir des relations avec des voyous ». Etonnez-vous après ça que de gros truands filent juste avant chaque coup de filet (Par exemple, B. Barresi y a échappé, à Marseille, pendant… une vingtaine d’années).

Parmi les autres « relations », manifestement informées à bon escient, des affairistes liés à Total, groupe visé par plusieurs informations judiciaires, notamment dans des dossiers de corruption présumée de fonctionnaires étrangers en Irak, en Iran et au Cameroun.

Après Marseille, il y a eu Lyon. Là, c’est le numéro deux de la police qui est tombé. Une bien sale affaire de trafic de drogue –entre autres- pour un commissaire expert de la communication, toujours présent dans les médias, « tournant » des interpellations en direct pour Zone interdite et autres magazines. Histoire, peut-être, de faire oublier ses « relations » compromettantes… et certaines curiosités des dossiers sur lesquels il a « travaillé ». 2,5 millions d’euros jamais retrouvés de l’affaire Musulin, par exemple. Peut-être pas perdus pour tout le monde.

Et après Lyon, il y a eu Lille, un commissaire divisionnaire, chef de la sûreté départementale. Une affaire de proxénétisme à l’hôtel Carlton. Que du beau linge, des personnalités locales et même « effémistes »…

Marseille, Lyon, Lille, pour finir ce tour de France, il fallait bien Paris. Ici, c’est du politique. Et c’est le numéro 1 du renseignement d’État, le chef de la Direction centrale du renseignement intérieur qui est mis en examen. On l’accuse d’avoir espionné un journaliste du Monde. Lui ne voit pas où est le mal  : il n’a fait qu’un travail de routine.

Tout cela, répétons-le, en quelques semaines à peine. Ça donne le tournis.

Et le menu fretin

Mais là ne s’arrêtent pas les affaires. Chez les « petits » aussi, certains ne reculent devant rien. Quelques exemples, glanés ci et là. Le premier, concerne un grand classique de la délinquance, le vol. Il se pratique aussi pendant les gardes à vue. En G.A.V., le «  client » est totalement neutralisé. C’est pratique. Nous avions rapporté dans nos colonnes le vol dont fut victime un compagnon dans le commissariat d’Agen (une somme en liquide, piquée directement dans son portefeuille). La technique avait quelque chose de rudimentaire, les personnes dépouillées (même si elles n’osaient rien dire) se rendant immédiatement compte qu’il leur manquait de l’argent. Il y a eu perfectionnement. Nous apprenons que dans un commissariat de Toulouse, c’étaient les cartes bleues (avec les codes) qui étaient soustraites aux gardés à vue. Deux policiers s’offraient la grande vie avec, ne lésinant pas pour leurs achats sur Internet. La combine a duré deux ans. Un peu long, tout de même.

Toujours dans le domaine du vol, on peut faire mieux : des braquages. Pour le « fun », on peut revoir en boucle une vidéo d’Europe 1 : deux policiers, en civil cambriolent une boutique dans le dixième arrondissement de Paris. Le « hic » pour eux, c’est qu’ils avaient enlevé leurs brassards de flic trop tard pour ne pas être reconnus. Détail significatif : ne se sachant pas filmé, quand les policiers en uniformes, alertés par l’alarme sont arrivés, un des ripoux a tenté de s’en sortir en prétendant avoir été agressé…

On en arrive ainsi à des choses beaucoup plus graves par les conséquences que cela entraîne : les faux, usages de faux, accusations mensongères. Deux exemples, tant c’est fréquent. Le premier, à Aulnay-sous-Bois. Un policier avait été blessé. Lui et ses collègues ont alors menti et accusé, dans leur procès-verbal, le conducteur de la voiture qu’ils poursuivaient. Cette accusation, ce n’est pas rien. En droit, c’est une tentative d’homicide sur fonctionnaire de police. Un crime passible de la perpétuité. Un malheureux a donc failli être envoyé en prison à vie sur le mensonge des « assermentés ». Heureusement pour lui, il a pu démontrer que l’affaire était montée de toutes pièces. Deuxième exemple, tout chaud, dans le 101e département français (Mayotte), plusieurs flics viennent d’être mis en examen pour « faux en écriture publique ou authentique » et violence sur mineurs et sur non mineurs, ainsi que pour violences commise par des détenteurs de l’autorité publique dans l’exercice de leur fonction.

Car, côté violence physique on n’est pas en manque non plus. Cela peut aller jusqu’aux agressions sexuelles et aux viols. L’histoire la plus édifiante (à ce jour) est celle d’une bande de flic de Saint-Denis, agissant en véritable meute. Vivant « dans le délit quasi permanent » comme l’a déclaré la Procureur lors de leur procès, ces «  gardiens de l’ordre » se comportaient comme des prédateurs, volant et abusant les jeunes femmes, originaires pour la plupart d’Asie ou d’Europe de l’Est.

Ajoutons à ce chapitre les condamnations pour torture, actes inhumains et dégradants que la Cour Européenne des Droits de l’Homme (même si nous ne nous faisons aucune illusion sur l’institution) inflige régulièrement aux commissariats français.

Autre gros dossiers, les stups. Un exemple de ce qui se pratique : deux membres de la police judiciaire d’Orléans avaient organisé un réseau de revente de stupéfiants. Il leur était facile de se fournir : il se servaient dans les prises qu’ils faisaient aux autres dealers…

On arrête là. C’est accablant.

D’autant que, pour une affaire connue, combien y en a-t-il qui ne sont jamais révélées ? En criminologie, on parle toujours du « chiffre noir » de la délinquance. S’agissant de la délinquance policière, c’est d’un « chiffre très noir » qu’il s’agit. Plus que dans tous les autres cas, les victimes de méfaits policiers n’osent pas se plaindre ou craignent carrément de le faire. Il est vrai que se présenter dans un commissariat pour dire qu’on a été volé, battu, violé par un policier…

Sachant tout cela, on comprend mieux pourquoi la police, si passionnée de vidéoflicage quand il s’agit de mettre en fiche toute la population, est carrément hystérique devant la moindre caméra libre quand cela concerne ses membres !

La police, nous savons in fine à quoi elle sert : à protéger le système, à faire que l’exploitation perdure, que les nantis puissent bronzer tranquilles. Servante des riches, ces derniers ont toujours permis quelques incartades individuelles, d’autant qu’ils pouvaient en tirer eux-mêmes des bénéfices secondaires (en y trouvant des « fournisseurs » pour leurs « besoins » : prostitution, drogue, jeux…).

L’accumulation récente de petites et grandes affaires montre qu’un pas de plus a été franchi. Reste à comprendre pourquoi. Dans un contexte qui peut devenir explosif à tout moment, le pouvoir veut une garde prétorienne. Il est prêt à tout pour s’attacher ses services. Alors il ferme les yeux sur cette délinquance là (alors qu’il exploite à mort la « violence des jeunes » qui finalement fait bien moins de dégâts...) comme il ferme les yeux sur les pratiques quotidiennes, pour ne pas dire qu’il les provoque par ses déclaration réitérées.

C’est là qu’est le nœud du problème. Il suffit de voir certains « contrôles d’identité » dans les quartiers pour comprendre ce dont on parle ici. Un « contrôle d’identité », c’est quand rien ne s’est passé, sinon, c’est une interpellation, directement. Un contrôle, c’est juste pour le principe, pour montrer qu’on est le plus fort. Mais, comme il faut quand même faire du chiffre, il faut trouver quelque chose. Même quand il n’y a rien. S’il n’y a rien, on peut provoquer le « quelque chose ». On peut. Il suffit d’être méprisant, dans l’attitude, dans le geste, dans la voix, dans les propos. Si ça ne suffit pas, un geste brutal. Ou alors, on commence une fouille à corps, sous prétexte de rechercher « de la drogue », avec une palpation bien appuyée sur les fesses ou sur les c…, au besoin avec un petit mot gentil : « T’aimes ça, hein, mon salop ! ». Avec un « peu de chance », le contrôlé, surtout s’il est jeune, surtout si c’est la quatrième fois de la semaine qu’il y passe avec la même patrouille, va avoir un mouvement de révolte, un mot. Et là, clac  ! le délit est constitué  : outrage à agent de la force publique pour le moins, et, s’il y a eu le moindre geste, coups et blessures, assortis de l’inévitable ITT (Incapacité temporaire de travail). Il faut les voir, à 6 ou 7, flashball à la main, menottes à la ceinture, pistolets, matraques pendant de tous côtés, encercler un gamin de 15 ans ou un adulte « de couleur » (sans-papiers potentiel !). Le tout bien sûr, en public, pour accentuer la vexation.

Il faut faire les liens. Des atteintes à la dignité imposées à une partie de la population dans la pratique policière quotidienne, jusqu’au trafic de drogue et de prostitués supervisés par des flics de haut vol en passant par les petits vols, les faux en écritures publiques et les violences du policier lambda ; tout ce tient.

C’est qu’aujourd’hui en effet, au quotidien, beaucoup de flics se croient tout permis. Et, quand dans une institution on se croit tout permis, il y a toujours des gens qui finissent par tout se permettre.

Quentin._