NON A TOUTES LES FRONTIÈRES
Publié le 18 octobre 2014
ANARCHOSYNDICALISME ET INDÉPENDANCE ÉCOSSAISE
Je ne suis pas spécialiste de ce sujet, néanmoins, ayant vécu quelques temps en région anglaise, et milité avec des compagnes-ons là-bas, j’ai pu faire un tour de la question. La question, c’est celle de l’indépendance de l’Écosse. Quand cet article paraîtra, un référendum aura eu lieu (le 18 septembre), demandé à l’origine par le Premier ministre écossais, pour savoir si l’Écosse ne dépendrait plus du Royaume-Uni (qui se compose de l’Angleterre, de l’Écosse, de l’Irlande du Nord et du Pays de Galles — à ne pas confondre avec la Grande-Bretagne, qui n’inclut pas l’Irlande du Nord).
Je tiens tout d’abord à démystifier : un référendum ; ce n’est pas la « démocratie directe », comme on l’entend dire parfois, y compris dans les milieux d’extrême droite. C’est l’État qui pose une question aux gens, avec comme réponse « oui » ou « non ». La démocratie directe, pour nous anarchosyndicalistes, c’est la prise de décision collective et autonome, donc… sans État. D’ailleurs on ne voit pas bien la différence avec les élections, où là aussi on nous propose des chefs. Passons.
Depuis des siècles, « l’État anglais », c’est un peu (voire beaucoup) le colon du prolétariat écossais, irlandais, gallois. Par exemple, les lois sont souvent d’abord « testées » en Écosse, pour voir si elles passent bien (les écossais-es ont une réputation de « rouges »), ce qui ne fut pas le cas de la Poll Tax en 1988 [1].
Pour moi, cette idée d’indépendance de l’Écosse rejoint toutes les autres (basques, kanakes, etc. ou encore occitane pour les délires plus récents). Mais plutôt que de me lancer dans une longue diatribe, et refusant de représenter qui que ce soit (y compris syndicalement…) je vais laisser la parole aux compagnes-ons britanniques. Avant, je précise qu’à la CNT-AIT nous sommes pour abolir les États et les frontières, pas pour en rajouter…
La section de l’AIT en Grande-Bretagne se dénomme Solidarity Federation (SolFed) ; voici ce qu’elle dit dans son texte de présentation :
« Le capitalisme est international, nous avons donc besoin d’être organisé-es à travers le monde pour nous y opposer et construire une alternative viable. Le nationalisme et le patriotisme mènent à des divisions fausses et sans intérêt, et sont utilisés comme carburant pour des guerres économiques et sanglantes. Solidarity Federation s’oppose à tout cela, à la faveur d’un mouvement bâti sur la solidarité mondiale. »
L’Anarchist Federation, a elle aussi une position très claire à ce sujet, extraite également de son texte de présentation : « Nous rejetons les tentatives de réformer le capitalisme, telles que le travail parlementaire et les mouvements de libération nationale (comme l’IRA [2]), puisqu’ils échouent à remettre en cause le capitalisme. »
Plus globalement, je pose la question. Voulons-nous un État écossais, basque, kanak etc. ? Voulons-nous une police, des prisons, une justice purement écossaises ? Sera-t-elle plus clémente que la justice anglaise ? Pensons-nous qu’une identité nationale puisse être réelle et émancipatrice ? Que toutes et toutes les personnes nées sur un même territoire aient les mêmes modes de vies (et intérêts.....) ?
Il faut rejeter le concept de citoyenneté : dans la lutte pour l’indépendance, se retrouvent des éléments de la classe ouvrière, mais aussi ses exploiteurs-trices, les flics, etc. On n’obtient pas une libre existence en voulant construire un État, des frontières (donc des barrières) « entre nous ». Si nous sommes des travailleurs-euses écossais (salarié-es ou non), notre ennemi n’est pas l’État anglais, mais l’État en soi, et notre allié n’est pas un-e patron-ne écossais-e, mais notre classe. Et puis, je n’ai jamais vu une « lutte de libération nationale » déboucher sur une « libération sociale ». On libère peut-être « la nation », pas les exploité-es !
Je vais citer un anarchiste de Glasgow pour éclairer cela ; voici ce qu’il écrit dans un article intitulé « Independant and free ? A Glasgow’s anarchist’s take on Scottish Independence » [3] : « Simplement, il n’y a aucune raison de croire que dans une Écosse indépendante, la réalité militante des libertaires serait plus facile, ou que par son existence nous verrions une remontée de la lutte des classes. Avoir la classe politique à domicile ne signifie pas forcément que cette lutte est plus facile. Au minimum, l’intensification du projet nationaliste soutenu par toutes les opinions apparemment progressistes pourrait renforcer la mystification du pouvoir, affaiblir les relations de classe et saper l’auto-organisation de la classe ouvrière en la conduisant à la passivité et au soutien à de nouvelles formes d’idées perdues d’avances. (…) Les actions de solidarité ouvrière en Écosse seraient calomniées par les nationalistes de tous les États mais soutenues par les travailleurs-euses militant-es en Angleterre et dans le reste du monde ». Ce compagnon conclut en faisant la différence entre « auto-détermination » et « démocratie directe », deux concepts qui n’ont rien à voir en effet.
Cet article se veut une introduction, puisque c’est d’actualité (d’ailleurs est-ce un hasard si la volonté « d’émancipation nationale » — tiens, ces deux termes accolés ça fait vomir — retrouve du succès ?) Non, pour le pouvoir, il vaut mieux ça que l’émancipation sociale...). Pendant qu’on parle de cette indépendance, on ne parle pas de la lutte de classe, de la destruction méthodique de nos existences que l’État (écossais ou autre) continuera de mener. En tant qu’anarchosyndicaliste, je ne peux lutter pour une frontière, un État et ce que cela engendre. Par contre je suis aux côtés, dans l’AIT notamment, des compagnes-ons d’Angleterre, d’Écosse et de partout, en lutte pour une libre existence.
A ceux qui veulent continuer la réflexion, je conseille deux très bons textes, disponibles sur le site de Non Fides : « Lettre ouverte aux manifestants pro-palestiniens » et « Ni catalanistes ni espagnolistes ».
Emiliano adhérent CNT-AIT 63, pour l’abolition des nations et des frontières.
18/09/2014