De la langue à la race. Dérive identitaire occitane
Publié le 8 avril 2015
Depuis quelques temps je cherche à étudier le mouvement occitaniste afin de comprendre les logiques qui l’animent. Le point de départ fut la lecture de l’ouvrage de François Morvan « Le monde comme si » [1]. Son témoignage nous éclaire sur les liens entre les mouvements issus du celtisme national-socialiste et la revendication identitaire bretonne actuelle. Elle fait la preuve par l’expérience que le mouvement bretonnant est porté par des fascistes mais aussi, chose plus surprenante, par la mouvance de gauche et même d’extrême gauche. Des membres du PS ou du PC revendiquent le concept de race/ethnie bretonne.
En se plaçant du coté du « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » c’est-à-dire de l’autodétermination et en utilisant un vocabulaire d’émancipation et de libération, les gauchistes se démarquent des fascistes dans la forme, tout en soutenant sur le fond la même idéologie réactionnaire [2].
Dans les faits, le soutien des politiciens de gauche, de droite et d’une mafia d’industriels régionalistes à la cause d’une Bretagne celtique « pure souche » se traduit par des subventions aux effets désastreux (par exemple : élevage hyper-intensif de porc et ses conséquences : pollution des nappes prhéatiques, algues vertes…) et la diffusion à grande échelle de la propagande identitaire.
Qu’en est-il de « l’Occitanie » ? Eh bien, c’est comme pour la Bretagne ! Par exemple, les deux ont en commun de reproduire à l’identique ce qu’ils affirment dénoncer : le centralisme linguistique.
En fait de « diversité », les nationaux-occitanistes diffusent un « occitan unifié » - qui n’a jamais existé antérieurement - dans l’objectif de gommer les nombreuses différences linguistiques qui existent entre les multiples patois de ce qu’ils estiment être leur « territoire ». Bref, ils font, à une plus petite échelle, ce que l’État français a fait avec la langue française (et qui leur inspire tant d’horreur). C’est tellement vrai que des conflits commencent à apparaître, par exemple, à l’ouest, avec des Gascons [3] qui revendiquent eux-aussi leur « identité linguistique » face au totalitaire occitan [4].
A l’est, les nissarts ne sont pas en reste. Voici par exemple la réponse que s’attire un national-occitaniste de la part d’un national-nissart : « Nous, Nissart, nous savons qui nous sommes ! Votre réponse est au niveau de votre faiblesse argumentaire.... Quand on se résume à une supposée "unité par la langue" appuyée par une idéologie gauchiste née dans le Larzac dans les années 70, on ne pèse pas bien lourd face au droit international, la Vérité historique, ethnique et cultuelle d’un Peuple qui a toujours été tourné vers les Alpes et la Ligurie et jamais vers votre Occitanie guignolesque ! Les faits parlent d’eux-mêmes ! » [5].
Et ce n’est pas tout. Un occitaniste convaincu, fait un constat accablant - que nous avions déjà fait. Dans un article de l’Express [6], Eric Fraj, auteur de « Quel occitan pour demain ? », explique que les professeurs et « intellectuels » occitanistes parlent mal l’occitan, je cite : « L’accent, le vocabulaire ou la syntaxe des nouveaux occitanophones sont souvent typiquement français, constate-t-il à regret. Quant à certains professeurs, selon lui, ils ne maîtrisent pas vraiment la langue ! Ennuyeux, quand on prétend la sauver... ».
La situation est identique en Bretagne ou les penseurs de la « race bretonne » maîtrisent mal la langue qu’ils ont créée. S’ils ne se donnent même pas le mal de « parler comme il faut », c’est qu’il y a une raison : la revendication linguistique a pour objectif véritable non la « culture », mais la prise du pouvoir dans ce qu’ils espèrent voir devenir un véritable petit État. Comme les catalanistes par exemple.
En fait, pour en revenir aux positions des Gascons et des Nissards, il faut réaliser que la revendication identitaire entraîne d’autres revendications identitaires. Je m’explique. Les occitanistes ayant obtenu un certain pouvoir dans la région qu’ils prétendent unifier, d’autres cherchent à faire la même chose, à affirmer leur particularité identitaire, dans un domaine plus petit, afin de bénéficier eux aussi de la manne qui arrose les occitanistes. C’est pourquoi les Gascons, les Nissarts et bientôt d’autres sont venus perturber les revendications occitanistes. Ils revendiquent leur différence avec la région Occitane, dans un clair parallèle avec la revendication identitaire occitane qui s’est construite à partir de la recherche de différences avec la « France ».
en regardant vers la droite
Pour ce qui est des identitaires occitanistes d’extrême-droite, une des références est la période wisigothe [7], quand ces « barbares germaniques » ont pour la première fois pensé et mis en œuvre une proto-Occitanie unifiée sous leur contrôle… dans le cadre de l’Empire romain décadent. Cette période est intéressante car elle est comme un miroir de la situation actuelle ou les occitanistes revendiquent une autonomie tout en vivant grassement des subsides du système qu’ils semblent combattre. En effet, les Wisigoths ont toujours eu des vues autonomistes mais ont profité des avantages de l’Empire romain. Le point commun entre ces deux situations est l’ambivalence, c’est-à-dire à la fois la volonté de se dégager d’une tutelle qui, bien que protectrice, est perçue comme aliénante et limitante tout en vivant largement grâce à elle. Car les occitanistes bénéficient du soutien de plusieurs niveaux de l’État français. Par exemple, ils perçoivent de grasses subventions des mairies, des conseils généraux [8]. Directement ou indirectement, l’État français, pourtant vivement critiqué (« poujadiste », « colonialiste »… - il n’y a qu’un pas à franchir pour en arriver à la « France enjuivée », comme c’est le cas dans les milieux bretonnants par exemple) est réellement très généreux envers les mouvements identitaires régionaux. Et l’Europe (celle de Bruxelles, qui asphyxie les travailleurs) a une politique très favorable envers eux. Sous couvert de soutenir les langues, ce que Bruxelle développe, c’est en fait le projet de fragmenter l’Europe en petites sociétés nationalistes, excluantes, basées sur l’idée de peuple (étape intermédiaire dans la dérive qui conduit à l’évocation de la race/ethnie), en concurrence économique les unes avec les autres. C’est la vision communautariste anglo-saxonne, avec les conséquences que cela comporte. La population est donc prise en otage entre un communautarisme régionaliste et une « identité nationale ». Et comme ça les luttes sociales, les luttes contre le capitalisme, passent à la trappe.
en regardant vers la gauche
Les gauchistes de leur côté ont imaginé, pour les besoins de leur cause, une « Occitanie » mythique soi-disant ouverte, tolérante et mixte, qui s’opposerait comme en miroir, à la vision de d’extrême-droite. Voici quelques années d’ailleurs, des occitanistes de « gauche » s’indignaient de nos propos [9] en nous expliquant que, certes, ils étaient soutenus par tous les partis politiques mais à l’exception notable de l’extrême-droite. C’était, selon eux, la preuve que l’occitanisme était fondamentalement antifasciste. Malheureuse-ment pour eux, quand on commence à mettre en avant son « identité » - qu’elle soit française, bretonne, occitane…- quand on commence à parler de « pureté »… l’extrême-droite n’est jamais loin. Elle attend simplement que les gauchistes lui préparent le terrain pour « débarquer » sur ces thèmes qui sont depuis toujours les siens. Et c’est maintenant que l’on voit se développer la « Ligue du midi » (proche de Ménard, maire de Béziers), parti clairement identitaire-régionaliste avec des slogans comme « Maîtres chez nous » et l’organisation de manifs pro-Algérie française (culminant avec la débaptisation de la rue de l’indépendance algérienne remplacée par le nom d’un général de l’OAS) ou « Ligue du Sud » (de Jacques Bompard) créée par des « anciens » du FN proches des milieux identitaires.
Une bombe à retardement
De braves gens mettent leurs enfants dans des écoles « calendretes » en pensant que c’est anodin. D’autres, moins braves, les y mettent avec l’arrière pensée qu’ils n’y seront pas en contact avec des « arabes », des « noirs », des « juifs », qui fréquentent peu ce type d’établissements. Tous fournissent aux idéologues identitaires de la « matière » pour créer le « grand peuple occitan ». Ces enfants, espèrent-ils, seront le tremplin pour l’apparition d’une identité occitane. Mis en perspective, cela fait froid dans le dos, tant ce projet ressemble aux projets autoritaires. Or, avec son aspect folklorique, culturel, anodin, appuyé qu’il est par l’État français et l’Europe de Bruxelles, le mouvement occitan s’implante dans la vie quotidienne. Avec des conséquences qui seront lourdes, car, comme l’écrit Jean-Claude Kaufmann : « La thématique identitaire est une véritable bombe à retardement » [10]. « Ces bombes à retardement identitaires qui explosent sous nos yeux [et qui n’ont pas fini d’exploser] ne sont pas que des traces du passé, au sens où elles ne seraient que des mouvements réactionnaires de la société. Ce serait trop simple. Et d’ailleurs cela ne marcherait vraisemblablement pas. Car effectivement s’il y a un retour des thématiques identitaires, c’est bien qu’elles avaient reculé, ou peut-être même disparu, et que quelque chose avait, à tort ou à raison, pris leur place, ou bien leur avait enlevé leur puissance, les avait délégitimées. » […] « Et on touche ici à l’essentiel : une partie de ce qui fonde la thématique identitaire contemporaine vient de l’intérieur de l’histoire intellectuelle et politique de la gauche. Non pas au sens où il y aurait une continuité théorique unique de la gauche, et qu’en plus celle-ci serait complice de l’identitarisme, ce qui serait absurde, mais au sens où plusieurs tendances ou courants historiques de la politique d’émancipation ont, à divers moments historiques, validé des thématiques identitaires culturelles, nationales, religieuses, ethniques ou raciales.. » [11].
L’importation par la « gauche » de thématiques de « droite » est en effet le fond du problème, avec les conséquences tragiques que cela a pu avoir [12] et que cela aura si on ne l’arrête pas à temps.