Réponse anarchosyndicaliste

Publié le 18 octobre 2022

La publication dans Anarchosyndicalisme 177 de l’article « Charte d’Amiens » a suscité chez quelques lecteurs des réactions d’étonnement. Contestant notre affirmation que les centrales syndicales représentatives ont abandonné la lutte pour abolir le capitalisme, un militant CGT nous a fait remarquer que dans les statuts de sa confédération, il est clairement indiqué qu’« elle agit pour une société démocratique, libérée de l’exploitation capitaliste et des autres formes d’exploitation et de domination, contre les discriminations de toutes sortes, le racisme, la xénophobie et toutes les exclusions » (statuts révisés en 2016).

Certes, la CGT affirme agir pour une société démocratique libérée de l’exploitation capitaliste mais elle se garde bien de se fixer cette abolition comme objectif. De la même manière, la république française affiche fièrement depuis plus d’un siècle sur la façade de toutes ses mairies la devise « Liberté, égalité, fraternité » mais qui oserait prétendre qu’un gouvernement républicain a jamais fait quoi que ce soit pour abolir dans la vie réelle les inégalités économiques, visant une liberté authentique des citoyens en abolissant le carcan des obligations légales qui les contraignent ou ait cherché à développer un sentiment de fraternité entre tous les citoyens ? La devise est belle, mais personne n’est dupe, ce sont des paroles en l’air, dites pour tromper les naïfs.

En réalité, il ne peut pas en être autrement, la CGT comme n’importe quel autre syndicat « représentatif » doit absolument en passer par là : pour être admis à la table de négociation, pour pouvoir être considéré comme un partenaire par l’État, il lui faut nécessairement accepter les règles du jeu (règles fixées préalablement par l’État) et ça passe nécessairement par l’abandon en pratique de toute radicalité. De même qu’un compétiteur avant d’entrer sur le terrain doit accepter les règles du jeu et devra quoiqu’il lui en coûte se plier aux décisions de l’arbitre, de même le syndicat représentatif doit enterrer ses désirs de transformer radicalement la société.

Impossible de revendiquer à la fois l’abolition du capitalisme, de la propriété privée, de l’état et négocier des réformes avec les représentants des patrons et de l’État pour adoucir la condition des salariés. Bien sûr, pour obtenir cette conversion, l’État et les patrons ont payé un prix élevé : les syndicats dits représentatifs sont considérés comme des interlocuteurs, des partenaires, sont à ce titre largement subventionnés, ont des places dans tous les organes de direction des organismes sociaux, gèrent des organismes de formation etc. Le syndicalisme est devenu un formidable moyen d’ascension sociale pour ses dirigeants (certains sont devenus ministres ou cadres, dirigeants d’administration ou de grandes entreprises). Le Capital sait à la fois acheter et récompenser ceux qui le servent ! Et qu’on le veuille ou non, l’année 1906, l’année où a été signée la fameuse Charte d’Amiens, est un moment clef dans cette histoire qui a vu les syndicats progressivement s’intégrer dans le système, devenir un rouage indispensable dans la grande machine sociale.

À l’État les fonctions régaliennes, armée, police, etc. ; aux entreprises, aux patrons la gestion de l’économie et aux syndicats la gestion du social : gérer les crises sociales, faire en sorte que les grandes colères populaires restent dans des limites acceptables par le système et entretenir dans la population l’espoir qu’une amélioration des conditions de travail et de vie peut être obtenue par de simples négociations.

En fait, dès 1876 et la fin- voulue par Marx- de la première internationale, la cause était entendue. La volonté de Marx d’accorder la primauté absolue à la lutte pour l’amélioration des conditions de travail et de vie un objectif purement réformiste, complètement détaché de la lutte pour la transformation radicale de la société, a abouti à faire des syndicats ouvriers de simples engrenages dans la machine capitaliste. Pire encore, devenu un but en soi, la lutte pour les améliorations sociales immédiates, a été récupérée par le Capital qui en a fait, associée à d’autres éléments (innovation, productivité), un formidable outil au service de la régénération du système, lui permettant en particulier de briser la loi de la baisse tendancielle du taux de profit.

En récupérant les luttes ouvrières pour assurer sa pérennité jusqu’à aujourd’hui, le système capitaliste a démontré sa fantastique capacité d’adaptation mais cela n’a été possible qu’à la suite de cette énorme erreur stratégique. Le penseur Karl Marx n’avait pas imaginé que le système était en même temps capable de récupérer les luttes ouvrières et de transformer des organisations ouvrières en chien de garde de l’Ordre établi. Pourtant, c’est cette faille, cette contradiction entre la stratégie politique et l’analyse économique, tenant compte de l’hégémonie des théories marxistes dans la classe ouvrière mondiale pendant tout le vingtième siècle, que les capitalistes ont mis à profit pour faire perdurer le capitalisme jusqu’à aujourd’hui.
Michel Bakounine, théoricien anarchiste contemporain de Marx, a été beaucoup plus lucide puisque lui a toujours refusé de fixer d’autres buts aux classes exploitées que l’abolition du capitalisme par la révolution sociale puis la construction d’une société communiste libertaire. Ce simple fait rend impossible toute récupération des efforts ouvriers par le système. La CNT-AIT défend toujours aujourd’hui les conceptions de Bakounine. Elle se définit comme anarchosyndicaliste et se fixe comme unique objectif la destruction du système économique, social et politique actuel ; ses militants luttent pour favoriser l’avènement d’une société anarchiste, libérée de l’exploitation capitaliste et du culte de la marchandise et c’est pour rendre cet objectif compréhensible par la grande masse des exploités que nous nous associons, sans réserve aux luttes de tous les opprimés qui dans le monde se battent pour améliorer leurs conditions de vie et de travail. Par l’action directe, en refusant toute compromission avec l’Etat ou les forces du capital, en développant la solidarité et l’entraide entre les exploités, nous montrons qu’il est possible de vaincre le capital et qu’un monde débarrassé de l’exploitation capitaliste est possible. L’anarchie est notre but, le syndicalisme notre moyen.

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