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COMMENT FINISSENT LES TYRANNIES ?

Publié le 6 mars 2009

Ce que nous apprend l’histoire c’est que s’il ne choisit jamais de vivre dans un contexte de bouleversement sociétal, l’individu choisit toujours ce qu’il va y faire ou ne pas faire. Par le passé, l’humanité a déjà du faire face à des épisodes de crise majeure. Chaque fois, ils ont permis l’émergence d’institutions nouvelles et parfois totalement inattendues. Dans un moment fondamentalement ouvert qui est celui que crée la mort des anciennes institutions (n’oublions pas que le monde a surgi du chaos...), tout est possible, le meilleur comme le pire ; et au final, tout cela résulte largement de notre action... ou de notre inaction. N’oublions pas, nous qui souhaitons une action collective dans une finalité émancipatrice, que cette émancipation n’est jamais que la somme des actes de liberté posés par chacun, alors qu’à l’inverse, le totalitarisme n’est que l’addition de nos lâchetés.

Or, l’individu n’est libre que s’il a pris conscience des ses responsabilités, et pour cela, il doit d’abord faire “le deuil du pouvoir”, c’est-à-dire le deuil d’une forme de domination dont la force de coercition serait légitimée par des capacités (le plus souvent supposées) de protection.

Le propre de la crise financière, économique et sociale qui se déroule sous nos yeux est qu’elle révèle à un nombre de plus en plus important de gens l’incapacité croissante des institutions à faire face aux besoins des populations. Les raisons objectives de cette incapacité sont connues : il s’agit de l’accroissement de l’endettement des Etats qui pourrait entériner leur insolvabilité. Mais la faillite du système n’est accomplie que si on parvient à signifier massivement, dans les mots et dans les actes, que toute confiance en lui est perdue. C’est un travail à rebours de celui qu’a produit antérieurement l’imaginaire collectif pour justifier le fonctionnement de la société jusqu’à présent qui doit désormais se produire, c’est un véritable "travail de deuil", dont l’aboutissement doit être la signification de la mort du pouvoir actuel. Ce processus peut couvrir une longue période, si c’est nécessaire à la maturation des esprits. Maturation qui n’est autre que le résultat de l’affrontement entre deux sentiments : celui de rester en demande et celui de passer à l’action. Cet affrontement entre le désir de repos et la nécessité de l’activité politique nous explique l’ambivalence du comportement social qui peut, à ce titre, dérouter ou décourager les plus impatients. Ainsi, ce 18 février, il y avait 17 millions d’auditeurs pour le discours présidentiel, lors même que le chef de l’Etat baisse dans les sondages et que ses apparitions en public deviennent pratiquement impossibles. Le 19 mars prochain sera la journée de syndicats c’est-à-dire des institutions qui participent à l’infantilisation de ceux qui ne sont encore que des sujets... Pourtant la première de ces deux dates a eu un effet inverse à celui escompté, car elle a largement contribué à déconsidérer le discours politicien et la deuxième date risque de constituer pour les dirigeants syndicaux une victoire aussi embarrassante que celle du 29 janvier.
C’est le constat massif de la dissonance entre la morale affichée du pouvoir et les affaires de vols, escroqueries, corruptions, forfaitures, trahisons et crimes perpétrés dans les cercles dirigeants qui fera certainement la différence : Le capitalisme est comme le vent pour le navigateur, il en entend d’autant mieux la critique qu’il lui devient défavorable. Ce n’est pas pour rien que les directions syndicales jouent la montre à raison d’une journée de grève alternant avec une journée de négociation, ce n’est pas pour rien que les politiciens tentent de gagner du temps : il s’agit pour eux d’estomper les dispositions d’esprits devenus défavorables au pouvoir. Ce gain de temps est censé entretenir l’illusion pour que les individus ne prennent pas la parole, restent en demande, restent des enfants [1].

REAPPROPRIATION DE
L’IMAGINAIRE COLLECTIF

Ce n’est que quand une fraction conséquente de la population non seulement aura fait le deuil du pouvoir mais lui aura clairement signifié son acte de décès que démarrera pleinement la phase constructive. Dans les révolutions anglaise et française, en 1649 et en 1793, ce dénouement a été symbolisé par le procès du roi. C’est principalement une démarche quasi-psychanalytique où il s’agit de "tuer le père" devenu un tyran que l’on jette, à l’instar des romains qui situaient leur roche Tarpéienne prés du Capitole. Cette mort, symbolique ou non, notifie pour l’individu le passage de l’enfance à la responsabilité et lui permet d’envisager sa liberté. Pour les populations le temps de la demande cède alors le pas a celui du faire.

Bien sûr cette liberté n’a de concrétisation que si on a les moyens de la vivre. Mais contrairement aux écoles marxistes et économistes qui subordonnent la révolution à la réappropriation des moyens matériels, les anarchistes subordonnent cette réappropriation matérielle à la révolution, c’est-à-dire à une représentation collective et autonome de la société : l’individu ne peut vivre libre que dans une société qui s’organise librement et une société ne peut s’organiser librement qu’avec des individus libres.

Cette organisation d’individus affranchis, on en trouve déjà l’ébauche dans l’émergence de multiples comités et collectifs, dans lesquels la parole se libère et les actes se posent. Dans tous les pays cette auto-organisation doit fleurir et libérer des capacités aussi diverses que surprenantes. Bien sûr les médias n’en parleront pas ou en parleront mal. Mais peu importe que la chose demeure plus ou moins cachée, l’essentiel c’est la satisfaction intérieure que chacun éprouve en participant à ces mouvements et où il puise sa force morale.

Cette multitude de forums qui se coordonneront peu à peu, libérés des influences infantilisantes des politiciens et syndicalistes, remplira sa fonction de creuset commun. Alors, le simulacre de convergence qui nous est proposé jusqu’ici et qui n’est en réalité qu’une juxtaposition absurde de revendications corporatistes portées par des organisations dont l’objectif est d’empêcher toute union sur l’essentiel, ce catalogue à la Prévert que constitue une manifestation interprofessionnelle, laissera la place à la véritable convergence : Celle qui consiste à refonder de nouvelles bases pour une nouvelle société. Cette crise n’est pas la nôtre, non, mais ce monde est à tous !
M.

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