L’OBSCURANTISME EST TOUT SAUF RESPECTABLE/ RATIONALISME CONTRE FANATISME/ ATHÉE ET HEUREUX
Publié le 7 février 2015
ATHÉE ET HEUREUX
Bien que notre société s’affirme laïque, chacun peut constater que la prégnance des religions devient de plus en plus pesante. Les religieux de toute obédience interviennent à tout bout de champ dans la vie publique, cherchant à imposer leurs idéologies réactionnaires avec le concours des médias et souvent des pouvoirs publics. Face au déferlement de publications religieuses, il nous semble important de signaler la sortie d’un ouvrage « grand public » défendant le point de vue rationnel des athées.
« Je suis un athée heureux, je suis un athée joyeux… » C’est par cette affirmation, véritable pavé lancé dans la mare d’une actualité que des « fous de dieu » viennent encore d’ensanglanter, que commence le livre de Michel Piquemal : « Heureux sans dieu et sans religion ». L’auteur commence par démolir quelques idées reçues (les athées sont tristes et désabusés, les athées n’ont pas de morale, etc..) puis faisant preuve d’une belle érudition, il présente quelques unes des preuves de l’inexistence de Dieu, tout en décrivant les méfaits passés et présents, des religions (crimes, guerres, autodafés, esclavage…). Dans un style simple et clair, l’auteur aligne les argument, les démonstrations. Les lecteurs au fait de la chose religieuse regretteront simplement que certains arguments ne soient pas plus longuement développés, que certains ne soient pas mentionnés ; les lecteurs néophytes dans ces matières y découvriront des réponses à leurs questionnements et souhaiteront approfondir leur quête de savoir, ce qui est, je pense, l’un des buts de l’auteur. Enfin, (et nous tenons à le souligner) l’auteur dénonce les liaisons entre l’État et la religion.
Pour preuve il nous offre deux citations magnifiques, l’une de Napoléon Bonaparte : « Une société ne peut exister sans l’inégalité des fortunes ; et l’inégalité des fortunes ne peut exister sans religion. Quand un homme meurt de faim à côté d’un autre qui regorge, il lui est impossible d’accéder à cette différence s’il n’y a pas une autorité qui lui dise : Dieu le veut ainsi, il faut qu’il y ait des pauvres et des riches, mais ensuite pendant l’éternité, le partage se fera autrement » ; l’autre de Spinoza : « Le grand secret du régime monarchique est de tromper les hommes et de colorer du nom de religion la crainte qui doit les maîtriser, afin qu’ils combattent pour leur servitude comme s’il s’agissait de leur salut ».
Tout au long de l’histoire, nous constatons en effet que l’État et les religions se sont soutenus, se sont justifiés l’un l’autre. Pendant des siècles, les Églises ont assumé pour leur plus grand profit la formation et le contrôle des individus dont le système avait besoin en fonction des nécessités de l’époque : serfs ou paysans, marchands ou artisans, esclaves ou ouvriers, clercs ou guerriers,... tous résignés, acceptant bon gré, mal gré la place qui leur avait été fixée dans la pyramide sociale, même si les révoltes contre l’ordre établi étaient souvent des révoltes contre l’Église. En échange de leurs services, les Églises recevaient une part importante des richesses produites. Encore aujourd’hui, si dans les sociétés occidentales, une part de ces fonctions de formation et de contrôle est assurée par les médias, le système éducatif étatique (ou régional, suivant les pays)... la richesse des Églises subsiste : ainsi en Grèce, l’Église orthodoxe est le plus gros propriétaire foncier (30 % du territoire) et est exemptée d’impôts !
Nous approuvons donc le point de vue de l’auteur : « La question de Dieu est la clef de voûte qui soutient tout un édifice social. La remettre en cause, c’est bousculer l’ordre des puissants... ».
Cet édifice social, totalement injuste et inégalitaire, a été conçu non pour assurer le bien-être et le bonheur de ses membres mais pour pérenniser par tous les moyens, y compris la force, la domination d’une classe minoritaire de nantis sur les classes exploitées.
En dernière partie, l’auteur nous présente ce qu’il appelle « son credo d’athée » : liste des valeurs humanistes, des préceptes moraux, des principes progressistes auxquels il adhère et dont l’application permettra selon lui une société apaisée. Difficile de ne pas être d’accord avec lui lorsqu’il nous parle de laïcité, d’égalité, de respect de la nature etc.
Par contre, il nous semble se contredire lorsqu’il se déclare partisan de la liberté religieuse (à bien différencier des libertés de conscience, d’opinion, d’expression).
Comme il le montre à plusieurs reprises, les religions monothéistes sont par essence universalistes, intolérantes ; elles aspirent à la conquête de toutes les consciences (c’est Dieu, disent-elles, qui leur fixe ce but, d’où le djihad, les croisades...). Elles ne peuvent devenir compatibles avec la laïcité qu’au prix d’un détournement des textes sacrés (ce qui s’est passé pour les textes chrétiens, ce que des gens essayent de faire pour le Coran).
Enfin, puisque Michel Piquemal nous dévoile les valeurs positives auxquelles il croit, nous regrettons qu’en contrepoint il ne nous livre pas la liste de ses refus. En fait, l’auteur nous dévoile sa pensée quand il déclare qu’il « ne rêve pas d’un paradis futur, mais qu’il essaye de vivre au mieux sur cette terre ». Mais pour vivre au mieux, faut-il accepter le monde tel qu’il est ? Avec ces inégalités scandaleuses (les 80 personnes les plus riches de la planète possèdent autant que les 3,5 milliards les plus pauvres), ces souffrances terribles (presque un milliard de personnes meurent de faim ou de manque d’eau potable) ? Faut-il accepter la destruction de la bio-diversité, des milieux naturels pour de simples questions de profits ? Faut-il accepter les guerres, pour la plupart dues à des motifs religieux ? Accepter ce monde, se résigner, n’est-ce pas reconnaître la victoire des religions qui nous enseignent la résignation ? Anarchosyndicalistes, nous refusons ce système social et ses injustices, nous affirmons haut et fort les valeurs de démocratie directe, d’égalité, de liberté, de justice, d’éducation et de solidarité auxquelles nous croyons.
Nous luttons, en employant des moyens justes, pour la construction d’une société vraiment libre, vraiment égalitaire, et enfin débarrassée de ces trois monstruosités : Etat, capitalisme et religions. Projet utopiste, projet fou, au vu de l’état du monde aujourd’hui, mais projet riche de sens et en tout cas générateur, pour chacun des individus qui s’y engage, de beaucoup de joie et de bonheur.