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Autour de Ethnoregionalisme & Ultraliberalisme : La Bretagne pour laboratoire

Publié le 29 juin 2015

Autonomiste  ? Culturel  ? Indépen-dantiste  ? Gastronomique  ? Na-tionaliste ? Musical ? D’extrême-gauche ? De droite ? D’extrême-droite ? Du centre ? D’«  ailleurs  »  ?... Mais qu’est donc, où se situe ce fameux mouvement breton  ?

Eh bien, il est à la fois tout cela. A la fois de «  gauche  » sans cesser d’être d’extrême-droite ; et tout autant autonomiste violent que régionaliste doux. C’est ce qui fait sa force (et son danger) : il dispose de toutes les cartes. Il les abat selon les circonstances. Mais, pour protoplasmique qu’il soit, le mouvement a un cerveau, et un seul : le patronat.

  L’ÉTERNEL RETOUR VERS L’AGE D’OR

Commençons par la mythologie. Il fut un âge d’or pour la Bretagne. Celui de « nos bons maîtres ». Tout était alors comme Dieu l’avait créé. L’air était vivifiant, la race pure. Les nobles dirigeaient, c’était leur rôle. Les curés contrôlaient, c’était le leur. Et les paysans crevaient de faim. Mais ça ce n’est qu’un détail, comme dirait le plus célèbre des Bretons actuels. Survint alors un grand malheur (la Révolution française) suivi d’une invention satanique : l’école laïque. La masse paysanne commença à s’émanciper de la tutelle de l’Église, à comprendre que son ennemi c’était son maître… Tout était donc à recommencer.

Passons maintenant à l’histoire. La Première guerre mondiale à peine achevée, un minuscule groupe, Brez Atao (Bretagne toujours), voit le jour. Son slogan ? « Nous ne sommes pas Français, nous sommes Celtes ». La race comme étendard, donc. Premier objectif de nos Celtes : purifier la langue, trop riche en mots venus du français. On l’expurge. Et comme il faut bien remplacer les mots excommuniés, on en importe du Pays de Galles. Une nouvelle langue bretonne naît, une nov-langue. Elle n’a jamais été parlée dans l’histoire. Et alors ? Elle est parfaitement incompréhensible aux locuteurs natifs. Et alors ? L’Éducation nationale, dans sa cécité psychique, le Conseil régional dans sa soumission aux puissants, toutes les institutions, la diffusent et la présentent comme « historique ».

Pour un croyant, il n’y a pas de hasard dans la vie. Pour Brez Atao encore moins. Sa naissance a lieu dans les locaux de l’Action française, les royalistes. Et Brez trouve rapidement un généreux « parrain » : le nazisme, au pouvoir en Allemagne.

Alors, quand les hordes de « parrain » déferlent en Bretagne, Brez Atao exulte. Un nouvel âge d’or se profile. Brez proclame immédiatement l’Etat breton à Pontivy. Sa joie est de courte durée. L’impensable (pour Brez) se produit : des dizaines de petites vieilles narguent l’occupant nazi et viennent jeter des pierres sur les indépendantistes. Mortification supplémentaire pour Brez : elles sont en costume breton (quotidiennement porté à l’époque)… Les nazis, pragmatiques, demandent à Brez de ranger l’Etat breton dans le placard des accessoires mais n’abandonnent pas pour autant leur « filleul ». Ils s’en « occupent », et même bien. Sur leur ordre, l’orthographe bretonne est sur-unifiée. Un art national « Celte » est créé : la cornemuse est importée d’Ecosse, les bagads (cliques paramilitaires) sont inventés… Le kit commercial nationaliste se met en place.
Les réseaux catholiques, présents dans le moindre village, la presse aux ordres (toute autre est interdite) diffusent cette « bretonitude » qui débouche sur la création d’un groupe de S.S. bien breton, la Formation Pérote.

A la Libération, les nervis de «  Pérote  » fuient en Irlande (grâce à de faux passeports que leur fournit le responsable des régionalistes doux, un nommé Fouéré). Mais les réseaux ne disparaissent pas. Ils changent leur fusil d’épaule  : foin d’État breton, place maintenant à la «  culture  »… et à quelques coups de main, pour garder la forme (comme la prise de la sous-préfecture de Morlaix, en 1961).

Reste que la population prend toujours Brez pour des charlots. Pour ne pas dire plus. Le discours royaliste ou nazi ne passe pas  ? On le change. Il devient subitement de gauche. « Anti-colonialiste » même. L’argument est simple  : puisque l’Algérie a pris son indépendance (1962), pourquoi la Bretagne ne la prendrait-elle pas ? Je vous le demande.

C’est la grande époque des soi-disant «  bardes  » (Glen More, Alan Stivel...) et surtout celle de la Bible bretonne (l’autre Bible restant bien sûr en vigueur). Elle s’intitule «  Comment peut-on être breton ? ». Son auteur, Morvan Lebesque, nazi de la première heure (fondateur du Parti National-socialiste Breton et collaborateur de «  Je suis partout ») est maintenant devenu un grand homme de gauche (rédacteur au Canard enchaîné)… en gardant ses idées d’extrême-droite. Simple question d’habile habillage.

Mais, ce n’est pas parce que le discours devient « de gauche » que les copains de droite ne continuent pas de soutenir ! Dans les années 1980, Giscard, Barre... créent une sorte de « ministère de l’identité bretonne » : l’Institut culturel de Bretagne. L’ICB parle au nom des gens et, sans surprise, les nationalistes en ont le contrôle.

Brez se revendiquait d’une race. Après la Deuxième guerre mondiale, « parrain » ayant quelque peu compromis ce mot, le mouvement breton ne parle plus que d’ethnie. Depuis quelques années, ce terme commençant à sentir le roussi, il est remplacé par celui, fort en vogue, d’identité. Les mots changent. Ils sont bien les seuls.

Reste un gros problème pour les tenants de la chose : cette fameuse identité bretonne, qu’il s’agit de défendre contre vents et marées, sur quoi repose-t-elle ?

Sur la langue ? Impossible : plus de la moitié de la Bretagne n’a jamais parlé breton. Elle parlait gallo, une langue romane (que les nouveaux-Bretons entendent éliminer totalement). Quant à la nov-langue bretonne pas même 0,5 % des moins de 20 ans la parlent (malgré les fortunes dépensées pour la leur enfoncer dans la tête).

Sur le drapeau ? Ridicule : il est apocryphe, inventé de toutes pièces en 1923 par Maurice Marchal (auto-rebaptisé Morvan Marchal pour faire plus local), un des fondateurs de Brez !

Sur la musique alors ? Mais, elle est largement métissée et ni cornemuse ni bagad ne sont bretons (pas plus que la harpe dite celtique, bricolée par le père d’un « barde » pour les besoins de la cause).

Sur la base des danses folkloriques alors ? Que nenni, ce sont des danses de la cour de France arrivées progressivement en Bretagne et reprises par les paysans.
Bref, quand on fait le tour de la question, comme le note avec désespoir un sociologue du mouvement breton, il ne reste qu’un trait indéniablement breton : un goût très net pour le beurre salé. Bien que riche en cholestérol, c’est pauvre pour définir une « identité ».

  UN LOBBY PATRONAL ULTRALIBERAL

«  A peine avais-je annoncé le thème de cette conférence, que j’ai reçu des critiques de partout : les capitalistes bretons, commente F. Morvan, seraient libéraux et non ultra-libéraux. ».

Notons ce début d’aveu du mouvement breton qui déclare lui-même que ses capitalistes sont libéraux. Exit le mythe d’un patronat social (parce que catholique). Quant à savoir s’il est ultra-libéral, voyons voir.

L’histoire va nous servir sur cette question aussi de fil rouge.

Un premier réseau affairiste breton profite de l’occupation nazie pour se constituer.
Toilettage obligatoire à la Libération et création, quelques années plus tard, du Comité d’étude et de défense des intérêts bretons, le CEDIB, pour « transcender les intérêts particuliers ».

«  Transcender les intérêts particuliers », c’est aussi ce que prétendait faire le Front national lorsqu’il lance sa fameuse campagne « Ni de gauche, ni de droite, Français » [1]. Son pendant armoricain, le slogan « Ni de gauche, ni de droite, Breton  » a exactement la même signification. Au temps de sa splendeur, le CEDIB est une véritable armée. Il regroupe tout ce qui « compte » : tous les parlementaires de la région, tous les conseils généraux, les maires d’environ 1200 communes (dont ceux de toutes les grandes villes), les chambres de commerce et d’industrie, celles des métiers, les universités, le mouvement « culturel » et « linguistique » breton, la CGT, la CFDT, FO, la CFTC et bien sûr, le patronat qui tire les ficelles et obtient, pour lui et ses affidés «  culturels » de multiples avantages. C’est ce qu’on appellera dans les années 60 le « miracle économique breton », miracle qui, certainement par un affreux concours de circonstances, ne profita essentiellement qu’au patronat local.

Sautons quelques années et arrivons-en à la décennie 80, période pendant laquelle le CEDIB disparaît et laisse progressivement place à des structures patronales interconnectées : le « Club des trente », « Produit en Bretagne » et « l’Institut de Locarn ». Concentrons-nous sur ce dernier.

L’Institut de Locarn, fondé par un nommé Joseph Le Bihan, qui fut consultant de la DGSE (services secrets de l’Etat français - tiens donc), est mêlé à la pan-Europe (elle-même fort liée au Conseil de l’Europe). La pan-Europe n’affiche que de nobles objectifs : lutter contre le « communisme », liquider l’héritage de la Révolution française, imposer une Europe chrétienne sur base ethnique.

Et il y a du monde avec l’Institut, que du beau linge : François Pineau (Pineau-Printemps-Redoute,…), Jean-Pierre Le Roch (Inter-Marché), J-J Hénaff (les pâtés), Patrick Le Lay (TF1), des dizaines d’autres… facile : le patronat le plus puissant de France est breton. Ajoutons-y les responsables de services publics, de sociétés d’économie mixte (EDF, Port autonome de Nantes-St-Nazaire,…) et ceux de coopératives agricoles (Coopagri)… les nouveaux bons maîtres de la Bretagne sont là. Ils ne manquent pas de thuriféraires (Poivre d’Arvor, le groupe Le Point, la quasi-totalité de la presse régionale et de l’audio-visuel).

Last but not least, venons en maintenant à l’idéologie de l’Institut de Locarn (et donc de ses membres). Elle est limpide. Elle se rattache au modèle économique dit de l’Ecole autrichienne, celui-là même que mit en application le général Pinochet pour saigner les classes populaires du Chili : droit de faire de l’argent par tous les moyens, déréglementation totale du travail, suppression des syndicats, exploitation portée à son comble…

Peut-on faire plus ultra-libéral ? Non. François Morvan peut-elle qualifier le patronat breton d’ultra-libéral à bon droit ? Oui.

  LES DEUX FONT LA PAIRE

Ethnorégionalisme d’un côté, lobby patronal de l’autre  ? Pas du tout ! Les deux font la paire. L’affaire des «  bonnets rouges  » l’illustre parfaitement.

Acte premier : La décision

La décision, c’est le CCIB qui la prend. Le « Comité de convergence des intérêts bretons », une créature patronale de plus. Avec un lieu et une date de naissance hautement symboliques. Toujours pas de hasard. Ça se passe à Pontivy, là-même où l’Etat Breton a été proclamé, un 18 juin. Une sorte d’appel à la résistance donc. Le CCIB prend tout de suite une décision : ne pas payer l’écotaxe. Cette mesure avait été votée pratiquement à l’unanimité par le parlement français, y compris par les députés en lien avec le patronat breton [2]. Aucune importance. Comme il leur faut justifier tout de même un peu cette décision, les patrons bretons prétendent qu’ils sont plus excentrés que les autres. Ça se discute. Excentrés par rapport à quoi d’ailleurs ? Mais bon, on va pas chipoter. L’Etat, bon prince, ne chipote pas non plus et réduit d’emblé l’écotaxe de 50 % pour la Bretagne. Mais là n’était pas le problème. Ce n’était pas une question financière : les patrons bretons ne perdaient pas grand chose avec l’écotaxe. Elle n’aurait représenté qu’un pourcentage ridicule de leurs frais. Leur problème était politique. Ce qu’ils voulaient, c’était mener une bataille, et la gagner. Une bataille pour la déréglementation. Leur mot d’ordre «  Décider, vivre et travailler au pays » ne dit pas autre chose. « Vivre et travailler » importent peu. Ils y vivent et ils y travaillent déjà. Ce qui est capital, c’est « Décider » ! Décider qu’on va «  expérimenter » de nouvelles conditions d’exploitation des salariés, qu’on va faire sauter les lois sociales (enfin, ce qu’il en reste), qu’on va continuer à faire de la Bretagne un laboratoire de l’ultralibéralisme, décider qu’on ne va pas payer l’écotaxe... Pour l’écotaxe, c’est donc décidé par les patrons le 18 juin 2014, à Pontivy.

Acte deux : Le grand spectacle

Entre alors en scène la FDSEA, la diva des grands spectacles pyrotechniques. Elle est chargée de bouter le feu.

Dès le 02 août, les agriculteurs-industriels de la FDSEA détruisent un premier portique. La gendarmerie, présente, ne bouge pas un arpion. Bon, c’est vrai, on n’est pas à Sivens, que diable. Les morceaux du portique (un bien public) seront ensuite vendus aux enchères (au bénéfice d’intérêts privés) lors de la manifestation de Carhaix, toujours sous les yeux bienveillants de la maréchaussée. Puis les portiques de l’écotaxe flamberont les uns après les autres. Toujours sans réaction policière.

Montent alors sur scène d’autres comparses. Les membres de Produit en Bretagne ont décidé de sonner le tocsin. Enfin, de déclencher l’alarme incendie dans leurs super-marchés. On a les tocsins qu’on peut. Le tout est qu’ils soient entendus. Ils le sont  : le premier ministre leur propose un pacte d’avenir pour la Bretagne. Insuffisant
Acte trois : Réunion de famille

Troadec, maire « divers gauche  » (quoique antérieurement bien à droite) de Carhaix et leader autonomiste [3], lance lui aussi son appel, toujours à Pontivy, mais en octobre. Il décide que les « bretons révoltés » (c’est-à-dire les salariés virés par leurs patrons bretons) défileront derrière eux et reprendront leur mot d’ordre. On est une grande famille ou on ne l’est pas. Surgit alors, dans le rôle de la costumière, Armor Lux (un des premiers membres de l’Institut de Locarn). Armor distribue des milliers de bonnets rouges en acrylique. C’est pas une ruine : prix de revient 1,43 euros pièce, bien moins cher qu’un costume de scène en papier crépon donc. Et c’est bien suffisant pour de simples figurants. On proclame donc le bonnet identitaire (en détournant l’histoire) et de gauche – puisqu’il est rouge. Les Bretons de base ne savent pas d’où il sort, mais ils se le mettent sur la tête tout de même. Pas contrariants. Suit une distribution massive et tout aussi gratuite de drapeaux.

Dernier acte : La contrition

La contrition, c’est celle du gouvernement, Premier ministre en tête. Suppression de l’écotaxe. Suppres-sion des portiques. Et gros cadeau aux autonomistes : la « culture » est désormais dévolue à la Bretagne. Tout cela sur la base d’une escroquerie historique, car la révolte des «  bonnets rouges  », celle à laquelle Troadec fait référence, était une révolte contre les seigneurs locaux et pas du tout en leur faveur comme en 2014 ! L’histoire est récupérée pour manipuler la misère des gens (parce que, dans l’agroalimentaire c’est la misère noire pour ceux qui y travaillent) et la greffer sur un projet politique d’autonomie de la Bretagne.

Dernier geste avant de quitter (pour cette fois) la scène : les bonnets rouges incendient des locaux de la Mutualité sociale agricole. Aaah, ce goût pour les autodafés…

  EN DEUX MOTS SEULEMENT

Résumons : si l’indigente pensée unique règne un peu partout dans le monde, en Bretagne, elle atteint le comble de la misère intellectuelle puisqu’elle se réduit à deux mots «  Etre Breton ».

Au slogan du lobby patronal, «  Soyons Bretons !  », lancé voici quelques temps devant Jean-Yves Le Drihan (président du Conseil régional) fait en effet écho la proclamation de Jean-Michel Le Boulanger (vice-président du Conseil régional en charge de la culture) : « Osons, osons, osons être Bretons » (telle est la laborieuse conclusion de son ouvrage «  Etre Breton ? » - il s’est pas beaucoup foulé pour le titre, ni pour la conclusion d’ailleurs).

Ainsi donc, sur la base d’un ethnorégionalisme dans le fond assez niais, un patronat ultralibéral - déjà le plus puissant de France - a réussi à regrouper autour de lui les institutions, la «  gauche  » (ou supposée telle) et même une bonne partie de la classe ouvrière et de la population. Il est vrai que ces dernières sont soumises à un bombardement médiatique incessant. Toutes les télés bretonnes sont payées par Produit en Bretagne, les chaînes de radio sont financées elles aussi par le patronat, les journaux tout autant… Télés, radios journaux ne font jour après jour que de la propagande pour le lobby patronal. Tout autre propos est censuré.

Ce bourrage de crâne incessant, cette croisade identitaire qui fait perdre tout bon sens aux travailleurs a un grand objectif : déréguler totalement l’économie en imposant les concepts dits de l’école autrichienne (ceux appliqués par Pinochet) dans un cadre géographique totalement contrôlé par le patronat.

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