UNE INDUSTRIE BIEN ARMÉE FACE A LA CRISE
Publié le 9 décembre 2016
Si le climat économique est globalement morose, il y a au moins un secteur dont la santé est éblouissante : celui des industries de l’armement. Le marché mondial de la défense a battu un record de ventes en 2015, en progression de 11 % par rapport à 2014 . Et cette croissance va continuer : la situation géopolitique mondiale est incertaine et tous les États rêvent d’avoir une armée plus puissante que celles de leurs voisins.
Si le climat économique est globalement morose, il y a au moins un secteur dont la santé est éblouissante : celui des industries de l’armement. Le marché mondial de la défense a battu un record de ventes en 2015, en progression de 11 % par rapport à 2014 . Et cette croissance va continuer : la situation géopolitique mondiale est incertaine et tous les États rêvent d’avoir une armée plus puissante que celles de leurs voisins.
La France est la grande gagnante de cette compétition : elle « a relancé son industrie de défense et bénéficié de ventes régulières plusieurs années consécutives » constate un expert. En 2012, les exportations françaises d’armement s’élevaient à 4,8 milliards d’euros, en 2015 elles ont atteint 16 milliards d’euros et elles vont plus que doubler encore en 2016. Cette vertigineuse croissance fait que la France est devenue le troisième vendeur d’armes dans le monde, devant l’Allemagne, et elle devrait dépasser la Russie pour « devenir le deuxième plus grand exportateur mondial d’équipements de défense » dès 2018 selon la revue spécialisée Jane’s.
Les États-Unis, leader incontestés, restent encore hors d’atteinte. Les firmes d’armement françaises, Dassault, D.C.N. , Thalès, Airbus etc. sont à la fête, leurs bénéfices gonflent en proportion et leurs actions crèvent les plafonds. Nos responsables politiques ne manquent pas de mettre en avant ces succès, générateurs d’emplois et de rentrées de devises. Ainsi, suivant Jean-yves Le Drian, ils constituent « une reconnaissance de la puissance de la France , de sa dimension mondiale ». De gauche ou de droite, tous les nationalistes, amoureux du bleu-blanc-rouge bombent le torse et poussent des cocoricos. Nos actuels dirigeants politiques n’hésitent pas à attribuer ces succès à leur action, à leur engagement, à leur talent et ils en tirent gloire.
On ne peut pourtant s’empêcher de faire un parallèle entre la courbe des ventes d’armes et celle des engagements militaires français à l’étranger : jamais, depuis les débuts de la cinquième république, les armées françaises n’avaient été engagées sur autant de terrains d’opération : Mali, Syrie, Lybie etc. « Moi-président » laissera dans l’histoire le souvenir d’un grand chef de guerre. Et chacun de ces théâtres d’opération constitue pour nos armées un remarquable terrain de démonstration. C’est que les acheteurs d’armement sont comme n’importe quel client : ils sont difficiles, exigeants ; ils veulent voir, vérifier. C’est que dans le domaine des ventes d’engins de mort, la concurrence est rude et rien ne vaut, pour prouver la réelle efficacité du matériel et finaliser un contrat, l’épreuve de vérité, c’est-à-dire leur utilisation en temps de guerre contre de vrais ennemis, sur de vrais théâtres d’opération.
Et des théâtres d’opération pour vérifier l’efficacité des matériels, corriger leurs défauts, optimiser leurs performances, nos fabricants nationaux en ont plus que de besoin, ce que nos « représentants » ne manquent pas de mettre en avant. Ils ont en face d’eux de redoutables négociateurs, des gens extrêmement riches comme l’Arabie Saoudite ou le Qatar, (pétrole oblige) qui ne s’embarrassent pas de sentimentalisme : l’Arabie Saoudite par exemple applique strictement la charia (amputations, décapitations (153 condamnés décapités en 2015) et lapidations en place publique ; par exemple, le jeune Ali Mohamed al-Nimr dont le tort était d’être le neveu d’un dignitaire chiite, farouche opposant au régime, a été décapité et son corps, crucifié exposé pour l’exemple sur une place publique. Par ailleurs, l’armée saoudienne engagée dans une guerre au Yémen est accusée par les organisations humanitaires de dizaines de meurtres de civils (bombardement d’hôpitaux, d’écoles etc.).
Quand on est face à de tels acheteurs, il faut faire preuve de réelles qualités de négociateur, surtout quand l’on sait que la France a ratifié le Traité international sur le Commerce des Armes. Ce traité a pour but de réguler le commerce « légal et légitime » des armes et sa rédaction devrait nous interdire de commercer avec l’Arabie Saoudite. En effet, les États signataires s’engagent à « ne pas autoriser de transferts d’armes classiques, ni de leurs munitions pièces ou composants….. s’ils ont connaissance, lors de l’autorisation, que ces armes ….. pourraient servir à commettre des crimes internationaux, notamment des crimes de guerre ».
La France, patrie des droits de l’homme, a par ailleurs signé la charte de l’Organisation Internationale du Travail et en particulier les articles relatifs à la liberté syndicale, à la reconnaissance effective pour les travailleurs du monde entier du droit de négociation collective et à l’élimination du travail forcé ou obligatoire. En mai 2014, le constructeur DCNS (dont l’État français est actionnaire) vendait à l’Égypte (ce pays connaît depuis l’arrivée au pouvoir en 2013 du maréchal Sissi un cycle répressif - massacres de manifestants, emprisonnement des opposants, procès iniques, élections totalement truquées) 4 corvettes dont trois devaient être construites en Égypte.
Le chantier naval chargé de ce contrat racheté par l’armée Égyptienne, connaît depuis ce rachat des conflits sociaux. Les nouveaux propriétaires n’ont pas hésité à laminer très fortement les salaires et les primes des ouvriers civils : de 400 € mensuels les salaires plus primes ont été ramené au salaire de base soit 50 € augmenté suivant les mois de 10 à 30 € de primes. C’est lors de la distribution de la prime du ramadan (mai 2016) que la colère des ouvriers a explosé : la direction de l’entreprise accordant royalement une prime de 7 €, alors que traditionnellement les ouvriers recevaient l’équivalent de deux mois de salaire. Suite à une entrevue avec les ouvriers, le directeur a appelé l’armée pour investir l’entreprise.
Le 25 mai, 14 ouvriers sont arrêtés et emprisonnés puis inculpés avec 12 autres. « Ces 26 employés ont été choisis à peu près au hasard, dans tous les secteurs de l’usine. La direction veut faire un exemple pour mettre au pas toute l’entreprise. Ils ont beau être innocents, le juge militaire ne fera qu’appliquer les ordres qu’on lui transmet » déclare leur avocat. De fait, les tribunaux militaires ont en Égypte une compétence très large, leurs juges sont sous les ordres du chef d’état-major et ils n’offrent aucune garantie de procès équitable. Le procès a été plusieurs fois reporté et des ouvriers sont toujours emprisonnés. Des intérimaires ont été embauchés à leur place pour construire les navires vendus par la France.
Soyons justes, la France ne vend pas des armes qu’à des pays qui violent les droits de l’homme comme l’Égypte ou l’Arabie Saoudite, ou qu’à des pays qui financent ou ont financé des terroristes comme le Qatar ou l’Arabie Saoudite. Parmi nos clients, nous comptons aussi des pays comme l’Australie (sous-marins) ou l’Inde (avions). « La plus grande démocratie du monde » (plus de un milliard d’habitants) vient ainsi de nous acheter 36 Rafale pour un montant de 8 milliards d’euros. Cette somme représente un an et demi du budget que l’État indien consacre à la santé ! Or la situation des institutions sanitaires indiennes est lamentable : la majorité des hôpitaux et des dispensaires sont délabrés et des dizaines de millions de patients n’ont pas accès aux soins.
Pour comprendre le choix du gouvernement indien, il faut prendre en compte le fait que l’Inde, majoritairement peuplée d’hindouistes, est depuis sa création en conflit au sujet du Cachemire avec le Pakistan peuplé quasi exclusivement de musulmans.
Depuis 1947, les deux pays sont en état de guerre larvée et les fréquents affrontements militaires ont causé des milliers de morts, ceci pour le plus grand profit des vendeurs d’armes. Jouant sur la fibre patriotique, les militaires indiens, jaloux des matériels détenus par l’armée pakistanaise n’ont donc eu aucun mal à présenter comme une urgence absolue l’achat de ces avions. Les personnels hospitaliers et les patients indiens devront attendre, mais que les âmes sensibles se rassurent ; gageons que les gouvernants français auront pensé à expliquer à leurs homologues indiens les avantages d’un « téléthon » pour financer la modernisation de leurs hôpitaux.
Dans ce domaine aussi, l’expertise de la France est incontestable. Grâce au talent de nos gouvernants, à leur capacité à « oublier » les traités qu’ils ont signés ou à détourner le regard pour ne pas voir certaines réalités obscènes, la France va devenir le deuxième marchand d’armes dans le monde. Pour parvenir à ce résultat, nous voici fournisseurs d’armes et complices objectifs de certains des pires états criminels de la planète.
Le plus effrayant est que ce sont les mêmes qui d’une main ratifient des traités internationaux pour défendre les droits de l’homme et de l’autre signent avec des états voyous des contrats d’armement, vantent le rôle historique de la France, patrie des droits de l’homme, infatigable défenseur de la liberté et en même temps se bouchent les oreilles pour ne pas entendre les cris des torturés et des massacrés. Que pèsent en effet, ces cris, ces souffrances, ces détresses face aux milliards de dollars des ventes d’armement, aux profits des entreprises et des actionnaires, aux emplois créés en France : rien, absolument rien, affirme notre premier ministre en réponse à la question d’un journaliste.
La grandeur de la France, sa santé économique sont une raison suffisante. C’est la dure loi du système capitaliste, un système aussi immoral qu’inhumain car il ne connaît que la loi de l’argent et autorise toutes les bassesses pour accroître le profit, raisons pour lesquelles nous voulons son abolition.