Accueil > Société > Nationalisme / Identité / Religion > Sur la manif contre l’islamophobie

Sur la manif contre l’islamophobie

Publié le 7 mars 2020

Compagnes et compagnons,
Le 15 novembre 2019, un courrier (demeuré sans réponse) a été envoyé aux Relations extérieures de la Fédération Anarchiste, à propos de la manifestation contre l’islamophobie du samedi 10 novembre. En voici le contenu.

J’avoue que je suis consterné par la voie prise, depuis certaines années, par certaines et certains au sein du mouvement anarchiste, à savoir la dénonciation de l’islamophobie. Manifestement, il s’est opéré une confusion, un glissement entre la dénonciation de la xénophobie et du racisme puis de la critique de l’Islam. Il apparaît que, désormais, dénoncer l’Islam et, surtout, ses tendances les plus radicales nous soient interdites. Les « bouffeurs de curés », les dénonciateurs des noirs corbeaux cléricaux, les pétroleurs d’églises de naguère s’emploient, à présent, à devenir les auxiliaires des imams et les défenseurs des mosquées.

Je me suis amusé à reprendre sur Internet certaines affiches de la Fédération Anarchiste (que j’ai pu coller ou brandir en des manifestations). Et de retrouver au moins l’une d’elle dénonçant les bigotes, porteuses du foulard (il est vrai que ce foulard, ici, est catholique !). Mais un foulard reste un foulard, qu’il soit catholique ou musulman ! Et, là, on mesure toute la bigoterie parvenue jusqu’aux rangs libertaires. J’ai pensé, un temps, que la bigoterie libertaire demeurerait un épiphénomène, propre à quelques anarchistes individualistes, du genre Jimmy Gladiator, devenu musulman sur le tard et enterré dans le carré musulman d’un cimetière de la banlieue sud, en début d’année 2019 (quel pied-de-nez envers ses compagnes et compagnons de lutte de toute une vie !).

Je constate que la bigoterie est plus ample que cela, puisque l’Union Communiste Libertaire (UCL) a inscrit la lutte contre l’islamophobie dans son manifeste (dans sa constitution !) et que le groupe d’Amiens de la Fédération Anarchiste appelait à un rassemblement sur le même thème le 09 novembre 2019.

Que reste-t-il de notre slogan : « Ni dieu ni maître », popularisé par Reiser ? Que reste-t-il de l’irrévérence de « Charlie-Hebdo » dont l’équipe a été décimée pour cause de blasphème (parmi laquelle se trouvait notre pétillant compagnon Cabu, illustrateur d’affiches de la FA dénonçant le cléricalisme, le militarisme, le patronat, le patriarcat). Et de rappeler que Michel Bakounine a écrit : « La religion est une folie collective » (phrase, d’ailleurs, reprise sur une affiche ou un autocollant de la FA). Et que Buenaventura Durruti a dit ou écrit : « La seule église qui illumine est celle qui brûle » (se retrouvant, également, sur un autocollant anarchiste).
Sur Youtube, une vidéo montre des militants anarcho-syndicalistes de la CNT se faire sortir d’une manifestation pro-palestinienne, en faveur de Gaza, par des salafistes. Il me semble que cette vidéo date de 2010.

Alors, quand je vois que des libertaires défilent le 10 novembre 2019 aux côtés d’éléments de l’islam radical, les bras m’en tombent… (vus à la télé : des drapeaux UCL, un drapeau de l’ex-CGA, le mensuel Alternative libertaire). Car, en l’espace de dix ans, ils semblent n’avoir rien compris de la cohabitation avec ces radicaux islamistes, communautaristes, indigénistes… racistes ! Et de rappeler que la manifestation parisienne du 10 novembre s’est achevée aux cris de « Allah u akbar ! » (« Dieu est grand ! ») un comble pour des anarchistes.

La participation à une telle manifestation, convoquée par les islamistes du CCIF, est un véritable scandale, car elle piétine le travail entrepris dans le monde musulman par les rares athées et les non moins rares libertaires qui tentent d’y survivre, malgré les menaces contre leur vie. Je pense à ces Algériens, Marocains et Tunisiens qui à chaque période du ramadan bravent les interdits en public, au risque d’être arrêtés par la police ou assassinés par des intégristes. Je pense aux quelques communistes libertaires libanais et anarchistes turcs qui tentent d’introduire nos idées en un terrain hostile (j’ai correspondu quelque temps avec l’un d’eux, emprisonné dans les prisons turques pour cause d’activisme anarchiste, du temps où existait le journal anarchiste Kara (qui signifie « noir », en turc). Ils ont un courage que les « idiots utiles » (pour reprendre une formule employée du temps de Staline) anarchistes, communistes, insoumis (de la France prétendument Insoumise) ruinent par leurs alliances contre-nature.

On doit, certes, dénoncer le racisme et la xénophobie. Mais l’islamophobie n’a strictement rien à voir. La peur de l’Islam est fondée sur la peur de toutes les religions. Comme le dit si bien une affiche de la Fédération Anarchiste : « Obscurantisme, sexisme, soumission, guerre, oppression, dictature, aliénation… les religions sèment, le peuple trinque ». Cette affiche ne date pas de Mathusalem et, pourtant, vue l’accélération de la déconfiture de la pensée anarchiste, elle semble dater d’une autre époque… que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître !

Le seul courage dans la dénonciation de l’obscurantisme religieux, aujourd’hui, s’exprime en diverses pages des réseaux sociaux à l’initiative de Français d’origine maghrébine qui s’affirment laïques, athées, républicains, socialistes révolutionnaires… et qui ne pensaient pas retrouver un jour, en France, ce à quoi ils ont tenté d’échapper en quittant l’Afrique-du-Nord : le poids étouffant de la religion. Car, venant de la gauche et de l’extrême-gauche (à laquelle j’associe le mouvement libertaire), il n’y a plus aucun courage à dénoncer les méfaits de la religion.

Le 10 novembre, cette gauche et cette extrême-gauche ont montré leur soumission (le mot « islam », en langue arabe, signifiant « soumission »)… sa soumission à dieu (dont les lois – la charia - seraient supérieures à celles de la République). Un pas de plus et, demain, cette gauche et cette extrême-gauche manifesteront aux côtés de Civitas… pour rééquilibrer la balance de la bigoterie ambiante. J’attends l’expression d’un anarchisme chrétien, qui fut la marque du philosophe protestant bordelais Jacques Ellul (qui ne parvint pas, cependant, à convaincre nos compagnes et compagnons du groupe anarchiste de Bordeaux).
Je n’en étais pas le 10 novembre et je n’en serai pas plus à d’autres dates. Ni avec le CCIF ni avec Civitas (les deux faces d’une même médaille).

Salutations libertaires
C. N. (TOULON)