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École « L B », la précarité en toute sérénité.

Publié le 7 octobre

Face au naufrage organisé de l’Éducation Nationale depuis de nombreuses années, certains parents choisissent de mettre leurs enfants dans des écoles privées. On se souvient d’Amélie Oudéa-Castéra, plus crédible en tant qu’humoriste qu’en tant que ministre de l’Éducation qui avait choisi de placer ces enfants dans le très réactionnaire collège Stanislas, dont la devise est : « Français sans peur, chrétien sans reproche ».

Mais il y a des établissements beaucoup plus discrets en termes de moyens et d’effectifs qui se nichent dans les fissures de l’école publique. L’école « L B » où j’ai travaillé pendant deux ans est de celles-ci. Ici, pas de propagande religieuse. Les élèves viennent de milieux aisés, mais pas toujours (5000€, puis 6000€ l’année scolaire !). Le maître mot est l’accompagnement des élèves, peu nombreux, présentant des troubles divers et variés (troubles « dys », autisme, hyperactivité, troubles de l’attention, alimentaires, etc.). La pédagogie se revendique comme celle de Célestin Freinent et de Maria Montessori, une approche qui favorise l’accompagnement de l’élève plutôt que l’assimilation d’un programme défini sans tenir compte des difficultés propres à chaque enfant.

Et c’est là qu’est le principal argument de cet établissement, face au manque criant d’Accompagnant d’Élèves en Situation de Handicap (AESH) dans l’éducation nationale publique, beaucoup préfèrent passer à la caisse. Beaucoup de parents d’élèves en ont les moyens, mais pas tous. La plupart choisissent « L B » pour éviter ce que l’on constate chaque année : manque de professeurs, classes surchargées, établissements insalubres. L’école s’occupe d’enfants, de la maternelle à la troisième. Privée, hors contrat, elle ne touche aucune subvention publique et doit compter avec les frais de scolarité des parents, qui en tirent un trop grand pouvoir sur la vie de l’établissement. Au collège, j’avais des collégiens, entre 10 et 20 par classe. Un rêve pour un professeur.

Mais le rêve ne dure pas, évidement. Nombre réduit d’élèves, il en va de même pour les enseignants. Trois institutrices, la directrice, deux surveillants et une dizaine d’autoentrepreneurs pour enseigner le collège. Des autoentrepreneurs, ou plutôt des salariés déguisés, pour la plupart. Certes, la plupart de mes collègues donnaient des cours particuliers à côté, ce qui n’était pas mon côté. Officiellement, mon contrat me désignait comme « prestataire de services », pas enseignant. Qui dit autoentrepreneur, dit cotisations sociales à la charge du travailleur, congés scolaires non payés. Les institutrices étaient en CDI et étaient au courant de la gestion financière de l’école, pas nous. Récemment, un prof d’anglais, s’était vu retirés 3€ de son tarif horaire pour payer les photocopies de l’école… alors que les ramettes de papier sont fournies par les parents d’élèves. Le montant de notre taux horaire était confidentiel, sinon gare aux foudres de la directrice si on en parlait entre nous. Officiellement, les finances de l’école n’étaient pas assez solides pour employer tout le monde en CDI, version qui ne tient qu’un premier temps, car les données financières sont inaccessibles aux autoentrepreneurs.

Pas terrible comme emploi, mais pour découvrir le métier, mais pourquoi pas. Puis, on se familiarise avec l’établissement et plus les dysfonctionnements ne sautent aux yeux. On nous reproche de faire trop de photocopies alors que le nombre de manuels est clairement insuffisant, 1 pour 2 élèves les bons jours, l’organisation des bulletins, des classes et de la discipline qui changent au gré des humeurs de la directrice. Alors que nous devions nous montrer attentifs aux particularités des élèves, nous avions la surprise, certains matins, de découvrir des nouveaux élèves dans la classe sans connaitre leur histoire, leurs troubles ni leurs acquis.

Des situations d’élèves parfois ingérables, qui agissaient sans de grandes conséquences. Mais un élève se fait exclure trois jours pour son comportement, à son retour rien ne change, la directrice veut donc l’exclure une seconde fois, mais les parents refusent. L’élève reste.

Mais le pire vient avec l’hiver. Toujours dans l’optique de faire des économies, le chauffage est rationné. La directrice a décrété que de chauffer de 6h à 8h était suffisant pour avoir une bonne température en hiver, dans un bâtiment mal isolé. La salle des maternelles affichait 15°C, les coussins gorgés d’humidité. Les enfants faisaient donc classe en blouson. Une institutrice a contracté une sévère infection ORL.

50 000€ d’amende ont été requis par la justice pour harcèlement de la directrice envers deux anciennes institutrices. Le manque de moyen affiché peut se comprendre… mais lorsque j’ai quitté l’école, j’ai eu vent que la trésorerie affichait un surplus de 35 000 €, l’affaire marche bien quand même.

Bien qu’il y ait un aspect pédagogique indiscutable fournie par les équipes, notamment en primaire, cela reste bien une affaire. Aussi bien dans le tiroir-caisse que dans la mentalité managériale. Une gestion plus de l’argent que de l’instruction. Plusieurs personnels ont signalé que durant leur congé maladie, la directrice ne cessait de leur envoyer des mails, leur mettant ainsi la pression.

Pression pour les photocopies, changement des règles au pied levé. Les profs qui défilent chaque année, les élèves ont ainsi connu pas moins de quatre profs d’anglais en une année, et non pas eu de prof de français pendant un mois et demi, la directrice se chargeant des cours (alors qu’elle vient du monde de la communication). L’attitude des parents n’est pas sans reproche aussi. Bien souvent, on a l’impression que ce n’est pas une pédagogie alternative qu’ils recherchent pour leurs enfants, mais une marque, une distinction sociale. Ça sonne bien de mettre son gamin dans une école « Montessori « (bien que ça soit une pédagogie digne d’intérêt) une distinction sociale comme certains achètent une Tesla ; mais qui finalement reste un service marchand.

Un autoentrepreneur dans l’éducation devant une servitude volontaire exigée. !