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Cette victoire est la vôtre

Publié le 11 novembre 2007

Je suis distributeur de journaux gratuits et de prospectus publicitaires chez Adrexo Sud-Ouest. Adrexo est une filiale de Spir Communication (cotée en bourse sur l’Eurolist) et spécialisée dans le secteur de la distribution de journaux gratuits et de publicité. Je travaille à temps partiel et c’est pour moi, comme pour un certain nom-bre d’autres distributeurs, un deuxième emploi ; néanmoins, pour les autres, cet emploi constitue la seule source de revenu et il est inutile de préciser que la précarité est leur lot quotidien.

Quand on travaille chez Adrexo, on s’aperçoit vite qu’on n’est pas rémunéré pour les heures de travail réellement effectuées et que le paiement des frais est réduit à peu de chose. Cela peut aller du simple au double, "parfois" plus, c’est-à-dire qu’une personne qui travaille un certain nombre d’heures est payée pour la moitié, et moins, des heures effectivement réalisées. Le distributeur est théoriquement “payé au SMIC horaire” (même légèrement plus depuis le 1er juillet 2007, à 8,48 euros brut de l’heure). La société nous paie notre travail d’une façon "conventionnelle" selon des critères prédéfinis.

Mais ces critères sont, en fait, largement sous-évalués, et c’est le distributeur qui est pénalisé. Je peux dire sans me tromper qu’un distributeur touche autour de 4 euros de l’heure pour le travail effectivement effectué. Si ce n’est pas du vol, de l’abus, de l’esclavage,... alors, qu’est-ce que c’est ?

La distribution, c’est un métier

Depuis le début, j’entend les distributeurs parler et se plaindre de leurs mauvaises conditions de travail et ceux qui peuvent ne l’acceptent pas et restent une, deux semaines, un mois, deux mois, puis ils prennent leurs pertes et s’en vont sans demander leur reste. Mais ceux qui restent demandent des explications. La réponse ? ...Variée... mais du même tonneau : "C’est comme ça, c’est conventionnel", ou "C’est la machine qui calcule", ou bien "C’est pas nous, c’est Aix-en-Provence (le siège) qui gère cela, nous on n’y est pour rien, on ne sait même pas comment ça marche", ou encore "Tu te démerdes mal", ou alors "Au début, c’est normal". Le chef de centre m’a même dit "Faut pas croire, c’est un métier la distribution. Tout le monde a pas le profil pour ça". NB : c’est vrai que la "formation" est poussée : une séance de une heure d’information avant l’embauche ; en fait, une heure de blabla où on néglige d’entrer trop dans les détails, mais ou on sait vous vanter les mérites d’appartenir à une filiale de Spir Communi-cation. On m’avait expliqué, à l’embauche, que je serais (sous-) payé à date fixe ("Chaque mois, ça tombe, vous n’avez pas à vous inquiéter, c’est sans problème", qu’il m’avait dit). Après ça, on ne doute pas qu’on a acquis un bagage exceptionnel et des compétences très pointues qui font que la distribution est un vrai métier, où l’on s’épanouit, et, qui plus est, n’est pas à la portée de n’importe qui !!! Je témoigne après deux ans de bons et loyaux services : c’est un vrai boulot... de merde.

Malgré cela, beaucoup sont obligés de le faire, ce boulot de merde, et ceux-là voudraient être payés pour leur travail. Et ce "ils voudraient" est devenu "ils veulent". C’est pourquoi, le vendredi 19 octobre 2007 à 07H00, après une brève concertation la veille, une grève des distributeurs a démarré. Nous nous sommes rendus sur les lieux et avons filtré les véhicules des distributeurs venant prendre leur chargement, et, la majorité d’entre nous (pour ceux qui n’avaient pu être joints) a immédiatement adhéré. Résultat : plus de 90 % de distributeurs en grève.
90 % de grévistes

Cette grève concerne le centre de distribution d’Aucamville, dans le 31 (mais, aux dernières nouvelles, il y aurait d’autres actions, notamment à Pau, Bayonne, Niort... sans plus d’information). C’est une grève initiée par les distributeurs eux-mêmes et pas un mot d’ordre syndical. Cela n’empêche pas que les syndicalistes présents dans le mouvement de grève se sont empressés de faire remonter à leur syndicat, avant même le début, l’action en "préparation".

Un certain nombre de syndicaux sont, donc, venus "encadrer" les revendications. J’ai vu arriver des gens que je ne connaissais pas, partir en "négociation" avec "le patron" et le délégué (non syndicaliste, ni syndiqué) désigné par les distributeurs être refoulé par celui-ci, sans qu’à ma connaissance, un seul syndicat ne proteste.

A la sortie de la première rencontre avec "le patron" aucun accord n’est conclu, ni signé, malgré que le "dialogue" ait duré plusieurs heures. Le samedi et le dimanche, un certain nombre de distributeurs se sont relayés à l’entrepôt de manière à éviter toute tentative éventuelle de manœuvre visant à réduire l’efficacité du mouvement.

Le lundi, dès 06H00 du matin, les premiers grévistes sont arrivés sur les lieux, les autres arrivant au fur et à mesure. Ils ont "intercepté" les distributeurs qui n’étaient pas encore au courant pour leur expliquer la situation. Je peux réaffirmer que plus des 90 % des distributeurs ont fait grève. Le "noyau dur", environ une trentaine de personnes (des plus disponibles), est resté jusqu’à 19H30 ; heure à laquelle trois délégués syndicaux sont apparus pour nous lire le protocole d’accord en cours de rédaction. Selon ce protocole, la direction s’engage à corriger tout ce qui concerne la non-application correcte de la convention collective. Pour le reste, cela serait repris dans les négociations annuelles de branche. Les distributeurs, satisfaits, on accepté de reprendre le travail dès le lendemain matin. Ces syndicalistes nous on dit "Cette fois-ci, ils ont eu chaud". La grève a, donc, pris fin de cette façon. Espérons que la direction tiendra parole et ne se contentera pas de "mesurettes".

“Dialogue social” ???

Ce que j’en pense : Tout d’abord, je suis "surpris" de la complicité des délégués syndicaux avec "le patron". Ils ne parlent qu’entre eux (en habitués de la négociation qu’ils sont), car ils respectent leurs règles ; ici, "le patron" fait même valoir ces règles (lui qui pour nous payer ne les respecte pas), car, il refuse de recevoir le délégué désigné par nous. C’est tellement plus rassurant pour "le patron" de discuter des heures entre "gens de bonne compagnie", et qui se connaissent.

La grève est un rapport de force. Le "dialogue" devrait se limiter à remettre nos légitimes revendications au "patron" (ici, être payé pour les heures réellement faites, entre autre) et lui faire savoir que la grève ne s’arrêtera que lorsque celles-ci seront satisfaites, et alors, seulement, on rédige un protocole simple mais clair reprenant tout ce qui est incontournable. De plus, les gens s’en sont remis, "tout naturellement", à ceux qui savent, qui sont là pour ça, aux délégués syndicaux. Ceux-ci ont eu, une fois de plus, l’occasion de justifier leur siège, de se faire valoir, et pourquoi pas, disons-le, de resserrer leurs liens déjà si étroits avec le patronat. Leur rôle est-il de nous donner satisfaction, d’être à la pointe de la lutte ? ou bien de limiter les dégâts ... pour le patron ? D’être garants de l’ordre social et d’éviter les ennuis à ces "messieurs" ? Quoi qu’il en soit, les gens présents semblaient convaincus de la "justesse" de la démarche et de sa logique légale.

Que le protocole soit respecté, totalement ou partiellement, je considère, pour ma part, "l’événement" comme un échec "social".

On a raté, une fois de plus, l’occasion de se prendre en main en se libérant de cette mascarade conventionnelle. Je crois qu’il manque aux gens, en général, une prise de conscience sociale. Ils n’ont pas de recul, car, ils n’ont pas l’impulsion de remettre en cause les "structures", qui sont de plus en plus contre nous, d’ailleurs. Ils se contentent de revendiquer, par syndicats interposés, qu’on leur lâche un peu de monnaie sonnante et trébuchante. Le patron accepte, car, de cette façon, il achète sa tranquillité aux syndicats.

Le jour suivant la reprise du travail, les déléguées syndicales ont affiché en tête du protocole d’accord, un mot pour tous. Ce mot pour remercier les distributeurs de leur soutien, leur confiance, leur professionnalisme (?), leur participation nombreuse, et bla bla bla.

Je cite : "Cette victoire est la vôtre", sous-entendu, c’est d’abord leur victoire (celle des syndicats et de leurs "désintéressés" représentants)... sinon, y avait-il besoin de remercier pour le soutien, la confiance accordée, la participation ? Y avait-il besoin de préciser que c’est la "victoire" des distributeurs ?... Un peu de flatterie ne coûte rien... Ceci illustrant bien cela.

Paco

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