Retraites : massacre à la tronçonneuse
Publié le 28 août 2010
A entendre la propagande gouvernementale, il semblerait que les
habitants de ce pays ont contracté une sacrée mauvaise habitude.
Un vice. Une tare même : figurez-vous qu’ils se sont mis dans la tête de vivre pendant leur retraite ! Un comble ! Selon un rapport officiel, chaque année ces gredins grignotent « 2 à 3 mois d’espérance de vie supplémentaires à partir de 60 ans ». Aussi, « aujourd’hui, les Français peuvent espérer vivre jusqu’à 77 ans et les françaises jusqu’à 84 ans » et cela alors qu’au bon vieux temps, « en 1950, l’espérance de vie était de 66
ans. » [1]
Une situation aussi inacceptable
ne saurait durer. Mis, par une opinion
publique tatillonne, dans l’impossibilité
de renouveler annuellement
son exploit de la canicule de
2003 (15 000 décès « anticipés »,
comme on l’a dit joliment au
Ministère de la santé), confronté à un
virus de la grippe qui devait marcher
« comme en 14 » (plus précisément
comme en 18) mais qui s’est avéré
aussi inconséquent que les prévisionnistes
des agences de notation, le
gouvernement a décidé de prendre le
taureau (à moins que ce ne soit un
autre animal tout aussi cornu...) par
les cornes. Avec des larmes de crocodile
dans la voix, après avoir constaté
que « Notre système des retraites
» « est au cœur de la solidarité
nationale » et que « tous les
Français y sont très attachés » [2], il
nous présente « la » solution : nous
obliger à travailler plus, plus vite,
plus fort, plus longtemps.
FAIBLESSE DE L’ARGUMENT
Martelé depuis des années par les
médias, histoire de bien préparer l’opinion
publique, c’est un argument
démographique qui nous est présenté
comme incontournable. Un bel
exemple de pensée unique : « déséquilibres
financiers très importants,
en raison du vieillissement de la
population française » peut-on lire
sur le site de la Fonction publique,
tandis que le Conseil d’Orientation
des Retraites enfonce le clou : « les
déficits annoncés résultent de la
hausse de notre espérance de vie et
du papy boom ».
Un tel argument a pour lui d’être
simple, « à la portée de tout le
monde ». Présenté tel quel, il semble
imparable : il y a de plus en plus de
personnes âgées, donc, proportionnellement
moins d’actifs pour « financer » chaque retraité. C’est
ma-thé-ma-ti-que... mais c’est faux,
tout simplement parce que la question
démographique fait partie d’un
ensemble économique et ne peut être
comprise et traitée séparément de
son contexte.
S’en tenir au seul argument
démographique, c’est tout d’abord
feindre ignorer que la productivité a
sacrément augmenté : quand un
tailleur (un métier typique des
années 50, la fameuse époque où
nous n’avions que 66 ans d’espérance
de vie...) mettait plusieurs jours à
fabriquer un costume, quelques
dizaines d’ouvrières en sortent maintenant
sur une chaîne des milliers en
moins de 24 heures... autrement dit,
il y a certes moins d’actifs pour
chaque retraité, mais chaque actif
produit beaucoup plus !
Deuxièmement, ne parler que de
démographie en comparant la situation
antérieure à l’actuelle, c’est
faire comme si la répartition des
richesses produites était restée stable
entre ces deux périodes. Or, ce n’est
pas du tout le cas. La proportion de
la production qui revient aux actifs
n’a cessé de baisser, celle des capitalistes
n’a cessé d’augmenter. En
trente ans ils ont pris 9 % de l’ensemble
en plus de ce qu’ils prenaient
déjà ! Si les capitalistes n’avaient
pas pris une part croissante « du
gâteau », si la proportion était restée
ce qu’elle était en 1981, il n’y aurait
pas de problème de financement des
retraites, papy boom ou pas !
Enfin, la lecture en détail des rapports
officiels révèle, par-ci par-là,
des informations bien utiles. Ainsi,
peut-on lire que si « l’ensemble des
régimes de retraite et de chômage »
est maintenant déficitaire, en un
temps tout de même pas très lointain,
« en 2008, ces régimes disposaient
d’un excédent global de 4 milliards
d’euros ». Que s’est-il passé entre
temps ? La crise qui « leur coûte
environ 21 milliards en 2010 » [3]. Et
oui, « on » a bien trouvé de l’argent
pour les banques, mais maintenant,
ce même « on » veut nous faire payer
« principal et intérêts » !
Loin de découler, comme un long
fleuve tranquille, d’une nécessité
démographique, le « massacre des
retraites » résulte clairement d’un
choix cynique. A terme, l’objectif du
pouvoir est de liquider (ou du moins
d’amenuiser fortement) les retraites
telles qu’elles sont aujourd’hui (et
qui reposent sur une certaine solidarité)
pour obliger tout un chacun à
tenter de « protéger » sa future
vieillesse en confiant sa retraite au
privé, aux assureurs, au banquiers...
qui ont amplement prouvé, aux USA
par exemple, qu’ils « jouent » avec
cet argent quitte à plumer totalement
le dépositaire !
Léon
En 1981, 74 % de la richesse
produite en France allait aux
salariés.En 2009, cette proportion
était tombée à 65 %.
(Source : INSEE)
C’est à ceux qui empochent la
différence qu’il faut présenter
la facture des retraites,
pas aux salariés !