Chronique et analyse des luttes sociales de l’automne 2010 dans le département du Gers
Publié le 24 janvier 2011
La vague de luttes qui a
secoué le pays pendant
l’automne 2010 mérite
grandement commentaires
et réflexions. Nous avons
publié une première analyse
générale dès notre
numéro de novembre-décembre.
Nous revenons
sur le sujet dans ce numéro
avec un « retour sur
expérience » rédigé par
les compagnons de la
CNT-AIT du Gers..
Dans le Gers, les luttes sociales sont toujours limitées,
d’habitude, au défilé intersyndical suivant un parcours
prédéfini, s’achevant à 11 heures 30 pour permettre
au militant « exténué » par sa marche circulaire d’aller
déjeuner, une fois le devoir accompli. L’après-midi : quartier
libre pour aller consommer pendant la journée de
grève.
Pourtant, cette fois-ci, malgré un départ de cet acabit,
l’automne a vu naître dans le département, une lutte multiforme
et plus intéressante, lutte que nous souhaiterions
décrire ici.
LES FORMES DU MOUVEMENT SOCIAL DANS LE GERS
Ici, le mouvement social a pris plusieurs formes, à
savoir :
- 1._ Le mouvement intersyndical : une série discontinue
de « temps forts », faite de manifestations au
parcours prévu, limité dans le temps et l’espace, co-organisé
avec la Police. La « continuité » du mouvement
consistait en un rendez-vous quotidien entre 12 et 14 heures
en un même lieu, devenant le « lieu symbolique de la
lutte ».
Ce mouvement a d’emblée été marqué par le refus des
AG professionnelles dans l’Education (par la FSU) et
interprofessionnelles a fortiori (par la FSU, la CGT...).
Cette volonté de neutralisation s’est accompagnée d’une
tentative intersyndicale de se montrer plus radicale en
appelant à des ersatz de blocage (prévus, encadrés, limités),
sauf qu’à ces moments, la base motivée et le MAP
(Mouvement des Assemblées populaires), plus ou moins
confondus, ont toujours débordé, parfois de manière
éclatante, en les empêchant de tenir leur discours et en
refusant leur ordre d’évacuation (exemple : blocage de
l’Airbus).
- 2. Le mouvement lycéen : extraordinaire par sa
maturité, méfiant vis-à-vis de la récupération, déterminé
dans sa volonté d’action directe, précoce dans son désir
d’agir sans attendre les mots d’ordre nationaux ou départementaux.
- 3. Le mouvement des assemblées populaires et
des blocages (MAP) : des manifestants insatisfaits de
l’intersyndicale se sont rencontrés lors des premières
manifestations et ont organisé des assemblées populaires,
dont l’objectif clair était de passer à l’action directe contre
le Capital et l’État, de leur infliger un coût. Ce mouvement
doit lui-même être subdivisé en deux catégories :
- a. Le MAP « sous influence » : au début du mouvement,
Solidaires, ou la Mairie d’Auch, ont cherché à manipuler
les bloqueurs. Cette manipulation prenait la forme
du prêt (apparent) de matériel de sonorisation, de participation
aux Assemblées Populaires (AP) et aux blocages
en servant le discours intersyndical (forcément démobilisateur).
Immédiatement, Solidaires à récupéré les AP, en s’attribuant
leur organisation dans leurs communiqués. Plus
grave, Solidaires a très rapidement saboté les actions en
mettant un terme sans raison à un blocage de rond-point,
puis en empêchant une tentative de blocage de la ville
d’Auch.
La manipulation par la mairie d’Auch (PS) était plus
subtile. Elle consistait en un arrangement avec les ouvriers
éboueurs bloqués pendant trois jours, mais qui n’étaient
pas en grève (avec un ramassage organisé à un autre
moment de la journée, le blocage ayant lieu le soir). Ce
délai passé, et la volonté de blocage continuant, malgré les
tentatives de Solidaires (probablement envoyé par
l’Intersyndicale) pour proposer des actions ailleurs, la
Mairie a montré les dents, menaçant les travailleurs bloqués,
et provoquant la divergence entre bloqueurs et bloqués
craignant la répression du PS.
- b.- Le MAP autonome : parvenu à maturité, ce mouvement
n’a plus intéressé Solidaires qui a abandonné sa posture
« assembléiste ». La raison est une plus grande rigueur
dans l’ordre du jour et les tours de parole, qui a empêché
les manipulateurs d’effectuer leur besogne. Par ailleurs, la
tentative de neutralisation échouait dans la mesure où les
fausses propositions d’actions, toujours symboliques, ne
recevaient plus la moindre attention.
Le MAP autonome a connu lui-même deux phases :
une phase publique, en forme de « happening » au milieu
des manifestations, puis une phase « discrète » principalement
face à la répression.
LE MOUVEMENT DES ASSEMBLÉES POPULAIRES (MAP)
Contrairement à l’interprétation donnée par des analystes
de « gôche », ce mouvement n’était pas complémentaires
des « temps forts » : il était supplémentaire. Ce sont
des militants divers qui, constatant la neutralisation et l’absence
de démocratie de l’Intersyndicale, ont souhaité
dépasser les temps forts, organiser des AP, profiter des
appels intersyndicaux pour rallier du monde et passer à
l’action directe, en organisant ensuite la continuité de la
lutte, l’AP décidant d’un calendrier d’action.
- 1. Composition : La composition des AP était sou-vent assez stable, avec quelques personnes nouvelles à
chaque fois. De cette stabilité est né un respect mutuel
dans l’action pour des militants de base porteurs d’idéologies
très différentes. Par ailleurs, Les AP constituent un
révélateur social et assènent parfois une leçon d’humanité
: prenaient la parole ceux qui en ont le moins les moyens,
ceux qui savent que personne d’autre qu’eux-mêmes ne
défendra leur cause. Ont souvent agi ceux qui étaient
dépourvus des ressources pour le faire (déplacements,
argent, communication...). On notera l’écart existant entre
des professions comme les enseignants,
souvent prompts à revendiquer
une parole confisquée, et leur
quasi-absence dans le Gers au sein
des AP.
Populaire n’était pas un vain mot !
- 2. Organisation :
- a. Démocratie et décision : Les
AP ont gagné progressivement en
maturité, en acquérant une technique,
des outils de décision. On
peut lister les éléments déterminants
de cette technique :
- tactique d’utilisation des rendez-vous
intersyndicaux (le but était de
doubler l’organisation intersyndicale
en appelant à une AP décisionnelle
d’actions directes en prolongement
de la manifestation), - rappel systématique des conditions de l’AP (souveraine,
décisionnelle, organisée, démocratique, indépendante), - sonorisation nécessaire (ceci est plus qu’un détail ; la
sonorisation permet d’aller contre les messages de
l’Intersyndicale, mais aussi d’entendre les personnes qui
n’ont pas l’habitude de prendre la parole en public), - sonorisation indépendante (dans un premier temps,
Solidaires a prêté sa sono portable, ce qui lui a donné l’occasion
de récupérer l’action de l’AP à son profit. Il est
indispensable de fournir à l’AP une sono sur batteries
indépendante des centrales syndicales, même si c’est
cher), - matérialisation du cercle de parole (le cercle de parole
a été plusieurs fois matérialisé, signalé par une banderole,
et devait se tenir au centre de la manifestation ; vouloir
l’excentrer signifiait à chaque fois une perte de participants), - présence d’un modérateur rompu aux contre-techniques
de détournement d’AP (cette présence était rendue
nécessaire par la présence au début de bureaucrates cherchant
systématiquement à présenter les propositions symboliques
de leur boutique. Là était indispensable un
modérateur solide, pouvant leur rappeler qu’ils n’avaient
pas le droit de redire à l’envi leur proposition déjà entendue
et ignorée par l’assemblée) - structuration : phase d’échange, phase de décision,
calendrier d’action, bilan, commission, date de prochaine
réunion-bilan (autant d’étapes nécessaires à la réflexion, souvent trop courtes, et au respect de la démocratie des
décisions prises dans les précédentes AP), - prise de conscience des avantages et écueils de la
médiatisation (au bout d’un moment, la présence des RG
et de la Presse a été pointée du doigt : nous étions « attendus
» sur le lieu des actions, d’où la réflexion sur une certaine
forme de confidentialité sur les rendez-vous et dates
après décision),
- b. Action : l’action décidée en AP doit être planifiée et
organisée, avec un support logistique. Le repérage est
important pour connaître les voies
d’accès, de dégagement, et les obstacles
mobilisables disponibles sur
place. Les obstacles à déplacer ne
doivent pas être trop repérables en
amont. L’action doit être expliquée,
ce qui ne signifie pas forcément un
recours aux médias.
ÉPILOGUE
La constitution d’un
Collectif Action Gers dont l’action,
les motivations sont à analyser. Il
n’est pas facile de prendre acte de la
fin d’un mouvement social. Le
Collectif Action Gers s’est constitué
en prolongement des AP, sans en
reprendre d’ailleurs les principes
démocratiques. Pour un syndicat
anarchosyndicaliste, il paraît nécessaire
d’être clair au niveau idéologique
et de ne pas adhérer à un tel collectif dans la mesure
où il regroupe sur des bases floues des militants très
divers (le point commun étant en fait l’anticapitalisme).
Les dérives affinitaires et activistes sont ici très proches,
avec la réserve de tout le respect dû à ces personnes rares
ayant une conscience politique et militante.
CONCLUSION
De manière caricaturale, les centrales syndicales ont
réalisé leur destin en sabotant le mouvement social qu’elles
préfèrent couler sous leur contrôle plutôt qu’amplifier
par l’autonomie. Dans le Gers, ce phénomène n’a pas fait
exception puisqu’elles ont toujours refusé d’appeler à une
assemblée interprofessionnelle des travailleurs en grève.
L’argumentaire pusillanime consistant à craindre apparemment
l’échec d’une grève générale aboutit à un échec
tout court sans même avoir rien tenté, au nom de l’unité
syndicale. Cependant, certains travailleurs ont refusé cette
mise au pas de la lutte et ont inauguré des formes nouvelles
d’action, directes et continues. L’enjeu maintenant est
de maintenir les contacts nés de ces actions pour être opérationnel
dès les prochaines attaques de l’État qui ne vont
pas tarder : on pense notamment à la branche maladie de
la Sécurité Sociale qui va être probablement bientôt sous
le feu de la casse gouvernementale. À nous d’être rapides,
organisés et efficaces dans la riposte, sans se faire prendre
par la répression. Nous pourrions aussi anticiper l’attaque,
mais cela est évidemment moins mobilisateur....
SIA32
Chronologie de la lutte contre la suppression de la retraite dans le Gers
- 7 septembre 2010 : manifestation intersyndicale (du
MEDEF à la Préfecture) - tractage CNT-AIT « 60 ans
c’est déjà trop tard ». - 23 septembre : manifestation intersyndicale (de l’UMP
au Conseil Général) - tractage CNT-AIT « couleuvres à
avaler », appel à l’Assemblée Populaire au Conseil général.
Echec de cet appel. - 2 octobre : manifestation intersyndicale. Table de presse
et tractage CNT-AIT sur la manifestation « Qu’est-ce
qu’une grève ? ». - 12 octobre : manifestation intersyndicale (de l’UMP à la
Préfecture). Gazage des lycéens devant la préfecture.
Appel à l’Assemblée Populaire devant la cathédrale.
Blocage lycéen de la Patte d’oie. - 14 octobre : rassemblement intersyndical
à la Patte d’oie. Assemblée Populaire
au jardin Ortholan. - 16 octobre : manifestation intersyndicale.
Assemblée Populaire. Blocage de la
Patte d’oie à Auch - nourriture à prix
libre. Assemblée Populaire - 19 octobre : manifestation intersyndicale.
Assemblée Populaire. Blocage
écourté par Solidaires du rond-point des
Justes à Auch. Manifestation hors intersyndicale.
Blocage de la Patte d’oie à
Auch. - 21 octobre : blocage du service des
éboueurs à Auch - 22 octobre : blocage du service des
éboueurs à Auch - 23 octobre : blocage intersyndical du
rond-point des Justes à Auch.
Assemblée Populaire. Blocage du rondpoint
de Leclerc à Auch pendant 2 heures. L’Assemblée
Populaire décide du blocage de la ville d’Auch. Blocage du
service des éboueurs à Auch. - 24 octobre : préparation du blocage total d’Auch prévu
pour le 26 (blocage de 4 ronds-points conditionnant toute
la circulation en ville) mais celui-ci a été saboté par l’action
souterraine d’un représentant syndical qui avait participé à
l’assemblée générale décisionnelle de cette action et qui a
pris l’initiative de téléphoner et de dissuader d’y participer
les personnes qui étaient indispensables pour réussir ce
blocage (Ce délégué syndical qui n’avait participé qu’en
tant que personne à l’assemblée générale a réussi ce sabotage
et a continué, sans honte, à participer à d’autres
assemblées générales. Mais il faut dire que, là, sa crédibilité
était fortement réduite, si ce n’est détruite..). - 25 octobre : blocage du service des éboueurs à Auch,
mais "non convenu" cette fois-ci ! Assemblée Populaire
26 octobre : Assemblée Populaire (mixte assemblée générale)
au Conseil Général : décision de blocage de
Carrefour toute la journée - 27 octobre : blocage du transport de pièces d’un Airbus A 380 à l’Isle-Jourdain - débordement.
- 28 octobre : blocage de l’hypermarché
Carrefour à Auch pendant
9 heures. Assemblée Populaire - 29 octobre : blocage de la base d’approvisionnement des
grandes surfaces Intermarché à Lectoure. - 1er novembre : blocage "manqué" de l’usine Prolainat à
Blanquefort (cafouillage). - 6 novembre : manifestation intersyndicale. Blocage par
les plots du chantier de réfection de la place. Assemblée
populaire qui propose des actions et fixe une réunion de
préparation - 10 novembre : tractage-occupation (2 h.) de Pôle
Emploi. - 12 novembre : réunion-assemblée de
décision d’actions. - 15 novembre : commission de rédaction
de tract. - 17 novembre : Chahutage-tractage
de l’inauguration du Quick. - 20 novembre : Pique-nique-tractage
au Quick. Réunion-assemblée de préparation
du 23 novembre - 23 novembre 2010 : Chahut d’une
conférence à la CCI lors d’une conférence
sur le thème de l’écoconstruction
dénonçant la récupération de cela
par les entreprises. Confetti dans la
CCI. Tractage CNT-AIT à la « manif »
intersyndicale à 17H30 mettant en
cause l’Intersyndicale.
On voit que la diversité de ces
actions dénonçait, au-delà des réformes
terriblement injustes des régimes de retraite, tous les
travers de notre organisation de vie sous le joug de l’économie
de marché et de cette fausse démocratie qui n’en a
de plus en plus que le nom.
Quand un de ces tristes sires (ou une de ces tristes
cires...) au pouvoir avance glorieusement, qu’aujourd’hui,
quand il y a un jour de grève, ça ne gêne plus personne, et
quand on regarde ce que lui opposent les syndicats réformistes,
on ne peut que constater la réalité de cette formule
infecte.
Quand la parole est libérée et quand des actes comme
ceux qui ont eu lieu dernièrement peuvent se réaliser, la
réalité de l’inefficacité des jours de grève devient déjà
moins évidente.
La révolte prend forme et la classe des oppresseurs
perd de sa superbe. Dans les temps qui viennent où les
réformes liberticides vont continuer de pleuvoir, il ne
convient plus de faire le gros dos et de manifester sagement.
L’expérience acquise et les contacts noués vont
devoir se remettre en œuvre.
SIA32