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PÉNALISATION ou DÉPÉNALISATION ?

Publié le 23 juin 2013

Alors que l’agitation contre le mariage gay va fondre comme neige au soleil dans les semaines qui viennent, deux autres questions sociétales commencent à refaire surface : celle du cannabis et celle de la prostitution. Quoi de commun ? Tant de choses ! Prohibitionnisme, morale, répression, focalisation médiatique… tout cela est fort semblable.
un point rapide de la situation

En principe, la prostitution est actuellement légale en France alors que pour le cannabis, tout (consommation, transport, culture, possession…) est interdit et passible de lourdes peines [1].

La réalité n’est pas si simple, car dans la « vraie vie », la notion de légalité est à géométrie très variable. Depuis la loi abolitionniste de Sarkozy [2], le racolage, même passif, est interdit, ce qui permet de harceler les prostituées[ Voir l’encadré p 18]] alors qu’en ce qui concerne la consommation du cannabis, une certaine tolérance a fini par s’imposer. L’échec de la politique prohibitionniste conduite depuis 1971 est en effet énorme et les consommateurs de cannabis sont devenus tellement nombreux qu’à moins de transformer le pays en prison, il est impossible d’appliquer la loi.

Les débats qui s’enclenchent tourneront autour d’évolutions (ou de régressions) législatives. Décryptage.

Dans toute société, les idées, les attitudes et les comportements évoluent, plus ou moins vite, parfois sans cohérence. Cette évolution est le résultat des batailles idéologiques qui traversent tout groupe humain.

En France, il y a à peine quelques dizaines d’années, une personne pouvait être expédiée directement en psychiatrie ou en prison pour simple fait d’homosexualité [3]. Aujourd’hui, il reste de sinistres individus qui affichent ouvertement leur homophobie, mais ils sont devenus une minorité. L’homophobie n’a pas disparu pour autant. Elle a certes régressé mais surtout l’évolution sociétale oblige les homophobes actuels à camoufler leur attitude. Les plus malins d’entre eux en sont venus à dire qu’ils n’avaient rien contre les gays (et même qu’ils les trouvaient sympathiques...) mais qu’ils manifestaient contre l’adoption par les gays ou contre la procréation médicalement assistée… Bien naïf qui s’y laisserait prendre. La vérité, c’est que les manifestants contre le mariage gay sont avant tout des homophobes.

Il en va de même pour les prostituphobes. Du fait de l’évolution sociétale, ils sont maintenant dans l’impossibilité d’attaquer de front les prostituées, ce dont ils ne se privaient pas quelques dizaines d’années plus tôt. Ils camouflent donc leur prostituphobie en affirmant qu’ils n’ont rien contre les prostituées. Mais ils réclament la pénalisation des usagers. Bel exemple de perversité intellectuelle et politique.

Les anticannabis de leur côté biaisent le débat de façon assez voisine. Eux que l’on recrute parmi les plus gros consommateurs d’alcool, se présentent comme de vertueux citoyens livrant une guerre sans merci à « la drogue »…

Des considérations sanitaires sont mises en avant contre le cannabis, mais la motivation de tous les anti (anti-cannabis, anti-prostituées, anti-gays) repose sur une seule base : la vieille morale judéo-chrétienne, patriarcale, oppressive. Si certains prennent la peine de voiler leurs pensées par un discours sur la « dignité de la femme » ou la « protection de l’enfance et de la jeunesse », d’autres sont plus directs : « Tout ça, c’est sale » disait récemment un de ces sinistres individus sur une radio. A ce niveau, on ne peut même plus parler de réflexion, c’est du réflexe conditionné, un réflexe parfois entretenu par des secteurs d’opinion qui auraient dû s’en débarrasser depuis belle lurette [4].

 POURQUOI TANT DE HAINE ?

Pourquoi tant de haine contre le cannabis, les prostituées, les gays ? Cette question mériterait de longs développements. Soulignons simplement que les pires «  anti  » sont en général des individus qui, lourdement travaillés par ces problématiques, refusent d’admet-tre leurs tendances à cause de leur fameuse morale. Refusant de s’accepter tels qu’ils sont, ils en viennent à transformer en haine l’objet de leur désir, à maudire ceux qui assument, transformant ainsi des pulsions tout à fait normales en violence et en perversion. C’est pourquoi il n’y a pire homophobe qu’un homosexuel refoulé. Il n’y a pire prostituphobe qu’un pervers. Il n’y a pire anticannabis qu’un alcoolique franchouillard. Et, sur le plan législatif, la haine se traduit par un seul mot : interdiction.

 DES CONSÉQUENCES GRAVISSIMES

L’interdiction, la pénalisation, ont toujours et partout les mêmes conséquences. On le sait depuis au moins la prohibition de l’alcool aux USA.

Interdire, pénaliser, réprimer ne fait qu’amplifier le phénomène. La France, dont la législation contre le cannabis est la plus dure d’Europe, est en tête des pays consommateurs. La Suède qui a adopté une loi pénalisant les clients des prostituées a vu exploser le tourisme sexuel de ses ressortissants (vers d’autres pays, vers des bateaux dans les eaux internationales). C’est devenu une sorte de sport national dont les autorités pudibondes de ce pays très clérical [5] se gardent bien de mesurer l’effet d’entraînement.

Pire  : la prohibition est la meilleure alliée de toutes les mafias. C’est une évidence. Elle augmente la rentabilité (les tarifs sont plus élevés), elle impose une organisation sophistiquée. Quoi de mieux pour les maquereaux que la pénalisation du client ? Il faudra qu’ils payent plus cher, il faudra qu’ils aillent sur des bateaux, ou dans des hôtels à l’étranger (ou, si c’est interdit partout, dans des hôtels ultra-clandestins), et qui va posséder ces infrastructures, sinon les pires mafias ? L’interdiction, la pénalisation du client ne conduisent qu’à une chose : le renforcement du pouvoir des maquereaux. Quoi de mieux que l’interdiction du cannabis pour les dealers ? D’où pensez-vous que sorte l’essentiel de l’argent de la corruption ?

Enfin, et ce n’est pas la moindre des choses, l’interdiction permet à l’État de prendre un pouvoir grandissant sur les individus, de les harceler, de les opprimer. L’interdiction du cannabis fait peser sur la tête de tout jeune l’humiliation d’un contrôle n’importe où, n’importe quand. Elle permet à la police de le fouiller y compris en pleine rue. C’est un harcèlement insupportable mais légal. La pénalisation du client aura le même type de conséquences. Si elle était adoptée, la police aura un motif pour faire intrusion dans l’intimité de chacun sous prétexte de contrôler avec qui vous couchez. Pour les prostituées, les conséquences seront tragiques : tout homme en relation avec elles (dans une voiture, dans leur maison, dans un cabinet médical, un magasin, voire dans la rue…) pourra être suspecté d’être un client. De ce fait, elles ne pourront qu’être rejetées dans un isolement de plus en plus grand. C’est déjà largement le cas comme le montre le témoignage que )vous pouvez lire dans l’encadré (p 18) et que je résume ici : une femme fichée comme prostituée par la police est en voiture avec un homme. Les policiers arrêtent la voiture, l’accusent d’être un client. En fait, c’est un voisin qui accompagne cette prostituée étrangère pour une démarche administrative. Au lieu de pouvoir déposer son dossier avec son voisin, elle est conduite au commissariat pour une garde à vue. Si la loi de pénalisation du client était passée, le voisin serviable se serait retrouvé en prison. La vie des prostituées n’est déjà pas rose. Les prohibitionnistes vont la transformer en enfer.

 NOTRE PLACE DANS LE DÉBAT

Il est clair que, dans tout débat sociétal, notre place ne peut être que du côté de la liberté. Entendons-nous bien : pour nous, ces questions de société ne sont pas les seules. Nous savons qu’elles peuvent servir à faire diversion. Par ailleurs, dans ce journal - et c’est suffisamment rare en milieu libertaire pour être souligné-, nous avons fait une critique sévère de la drogue (en l’occurrence, l’alcool, mais la critique a une portée générale) et de ses effets contre-productifs en milieu militant [6]. Toujours dans ce journal, nous nous battons, numéro après numéro, contre toute forme d’exploitation. Ce sont justement ces prises de position, ces combats permanents qui nous donnent la force et la légitimité pour écrire ce que nous écrivons : les atteintes portées à la liberté des consommateurs de cannabis, les attaques contre les prostituées (et, encore plus, quand elles ont la perversité d’interdire en pratique ce qu’elles autorisent en principe) sont totalement inacceptables.