Le poison nationaliste et la difficile solidarité entre travailleurs par-delà les frontières …
Publié le 7 janvier 2023
La guerre n’abolit pas les rapports de domination au sein d’une société, elle ne supprime pas les différences entre les riches et les pauvres. Elle a même plutôt tendance à les accentuer en permettant l’apparition de nouveaux riches, les profiteurs de guerre. En temps de guerre, comme en temps de paix, l’objectif des capitalistes, de ceux qui détiennent le pouvoir économique, est toujours le même : gagner toujours plus
d’argent. Et pour cela, en temps de paix comme en temps de guerre, la recette est toujours la même : faire travailler les salariés toujours plus, en les payant toujours moins et dans des conditions de travail toujours plus dégradées. La guerre ajoute un stress supplémentaire aux travailleurs par le fait que vous risquez de vous prendre une bombe sur la tête, ou d’être jeté en prison ou envoyé au front si vous contestez l’Union nationale sous le commandement du Leader en chef et le drapeau national…
Alors, est-ce possible de voir une grève et une manifestation de travailleurs, pendant la guerre et alors que les rassemblements de rue sont interdits du fait de loi martiale ? Est-ce possible de saper la « paix de classe » avec le capital, alors que chacun est obligé de « défendre la patrie » sous la sage direction de la classe dirigeante ? Oui, c’est possible de répondre deux fois oui, par des exemples récents aussi bien en Russie qu’en Ukraine.
En Russie, après que le patron de Delivery Club, le leader Russe des entreprises de livraisons à domicile, aient décidé en avril sans préavis de diminuer leur rémunération de 20% alors que l’inflation explose en Russie comme partout, les coursiers s’étaient mis en grève pour exiger un salaire digne et des conditions de travail simplement humaines. Le porte-parole de leur syndicat, Kirill Ukraintsev, a été arrêté par la police envoyée par le Procureur d’Etat pour « appel ou participation à un rassemblement non autorisé à plus de deux reprises en l’espace de 180 jours » et risque jusqu’à cinq ans d’emprisonnement. Alors qu’il est toujours en prison, le 17 octobre, son procès a été reporté en avril 2023. En attendant, Kirill reste embastillé, au mépris total de la loi russe fixe le délai maximum de prison préventive à 6 mois. Le pouvoir russe mène aussi une guerre intérieure contre les travailleurs et les syndicalistes, et tous ceux qui osent manifester leur liberté d’esprit et leur refus d’être considérés comme des esclaves corvéables à merci et sans droits.
En Ukraine aussi, des coursiers se sont révoltés contre les mauvaises conditions de travail. Du fait de la guerre déclenchée par la Fédération de Russie, les livreurs sont contraints de travailler dans les conditions les plus risquées et pour des salaires de misère. Depuis le début de la guerre, les salaires ont même été baissés de 60%, alors que les prix ne cessent d’augmenter ! Le parlement ukrainien discute en ce moment de nouvelles lois ukrainiennes d’inspiration ultra-libérale, prises au prétexte de la guerre, et qui visent à annuler tout droit pour les travailleurs. Par ailleurs, la loi martiale a Interdit toute grève et toute manifestation.
Mais cela n’intimide pas les livreurs de Bolt de Kiev : début juillet, ils ont créé un groupe de discussion par chat pour s’organiser et discuter des formes de protestation possible malgré le contexte de la guerre.
Quelqu’un a même réussi à désactiver les scooters de livraison…
Le 4 juillet, le groupe des livreurs s’est mis en grève. Le lendemain, plusieurs dizaines de personnes se sont rendues à midi aux bureaux de l’entreprise, dans le centre de bureaux City Zen Park, pour tenir dans le hall d’entrée de l’entreprise une réunion consacrée à « la réduction exorbitante de leurs revenus et au payement des impayés ». Ils exigent une augmentation des paiements minimaux de 0,82 euro à 1,33 euro par commande, ainsi qu’une hausse de la rémunération au kilomètre de 0,23 euro à 0,40 euro pour compenser la hausse de
l’inflation.
Ce rassemblement a fait sortir de son bureau une porte-parole de la direction de l’entreprise, qui a menacé les manifestants d’appeler la police, laquelle, a-t-elle dit, leur enverrait à tous une convocation militaire. Comme toujours dans les pays en guerre, les maîtres menacent d’envoyer les fauteurs de trouble au front, sous les balles !
Cependant, il semble que la direction a fini par accepter une augmentation de salaire même si elle ne couvre pas complètement l’inflation galopante.
Ces deux exemples, en Russie comme en Ukraine, nous montrent que le capitalisme et l’exploitation n’ont pas de frontière, et que la résistance populaire autonome non plus. Malgré les risques encourus, malgré la prison ou les menaces d’être envoyés sur le front, aussi bien en Russie qu’en Ukraine, il y a des travailleurs courageux
qui osent se dresser contre l’arbitraire, qui osent affirmer leur dignité en refusant de se courber devant le pouvoir et ses intimidations.
Mais la guerre à la guerre, c’est aussi lutter contre le poison nationaliste qui tend à nous faire croire que tous les habitants de l’autre pays sont des ennemis. Selon les compagnons du Syndicat Courrier, ceux-ci ont essayé de contacter les grévistes de Bolt pour exprimer leur solidarité. Mais ces derniers auraient repoussé leur
solidarité au motif qu’en tant qu’Ukrainien, ils ne sauraient rien accepter de la part de Russes. Cette attitude regrettable illustre les résultats de la diffusion en temps de paix des discours idéologiques sur la défense des « peuples » (au pluriel, au lieu de promouvoir une seule Humanité) dont les conséquences néfastes se font sentir en temps de guerre…
Les travailleurs n’ont pas de patrie ! Paix aux chaumières et guerre aux tyrans !
Des compagnons de la CNT-AIT (France)