Un exemple de mobilisation dans une cité scolaire rurale
Publié le 24 avril 2023
En 2020 le gouvernement Macron/Philippe avait tenté de privatiser notre système de retraite par répartition. À cette époque au sein d’une Cité scolaire du Gers, plusieurs enseignants et enseignantes, lassés des temps forts des manifestations intersyndicales, avaient essayé de radicaliser la lutte en participant à un collectif avec d’autres enseignants du département. Collectif qui fut nommé "les blacks profs". Une habitude d’assemblées générales regroupant syndiqués et non-syndiqués, avec tour de parole et attribution de mandats précis pour préparer des actions décidées collectivement, s’était installée. Ce collectif n’avait cependant pas réussi à devenir interprofessionnel. Puis vint le Covid et le confinement ......
Le couvercle était retombé, le travail avait repris.
Dès l’hiver et l’annonce d’une nouvelle soi-disant "réforme" des retraites, à savoir une énième attaque de nos acquis sociaux, des assemblées générales reprennent sur notre lieu de travail : elles auront bientôt lieu tous les lundis midi sous forme de pique-nique devant notre cité scolaire si le temps le permet. Les habitudes contractées avec les "black profs" renaissent.
Dès lors, une variété d’actions se met en place au gré d’idées débattues lors des assemblées générales du lundi. Ceci repose sur une vingtaine de travailleurs engagés et qui contrairement à 2020 ne se compte plus uniquement parmi les personnels enseignants. Bientôt, une sorte de collectif interne réunissant syndiqués, non-syndiqués, enseignants, AESH, agents techniques d’entretien, AED, et CPE se met en place. (CPE = conseiller principal d’éducation, AED= assistant d’éducation, aesh= accompagnant des élèves en situation de handicap).
La créativité de chacun enrichit la lutte, ainsi un atelier banderoles donnent lieu à la réalisation de cinq grandes banderoles "Retrait total, grève générale" qui marqueront les esprits lors des manifestations à Auch.
Quelques évènements ont lieu sur notre lieu de travail comme "l’école du futur" ou l’affichage des photos des personnels vieillis représentant une école avec du personnel âgé de 64 ans et plus.
Des "piquets de Grève" chaque jour de grève devant notre lieu de travail avec banderoles, café et caisse de grève pour inviter nos collègues non-grévistes à nous rejoindre et/ou nous soutenir financièrement et entraver symboliquement l’accès à la cité scolaire.
Un "dying" devant la cité scolaire, le lendemain matin du recours à l’article 49.3 pour faire adopter le texte actant le report de l’âge légal de départ en retraite. Cette action, qui a vu vingt-cinq personnes au sol avec des pancartes "49.3 démocratie assassinée", restreignant l’entrée dans l’établissement, a permis d’interpeller les lycéens et de les inviter à nous rejoindre. Cela a ouvert les discussions et de fait, nous sommes ensuite partis en manifestation pour occuper un rond-point avec eux, sans blocage réel de la circulation, mais visible et audible de tous les gens se rendant au marché ce jour-là.
Des déambulations non autorisées dans la petite ville si souvent très tranquille pour appeler ses habitants à rejoindre les manifestations intersyndicales et la réunion d’information organisée par quelques collègues
Face à la surdité du gouvernement, des actions de blocage se concrétisent dans le Gers, à l’appel d’une intersyndicale moins frileuse que d’habitude. Bien-sûr, nous y sommes présents.
Au fil des assemblées générales, deux sujets récurrents reviennent : la décision d’une grève reconductible et la constitution d’une caisse de grève. Ni l’une ni l’autre ne font l’unanimité. Plusieurs collègues (une quinzaine sur quatre-vingt) sont très vites convaincus par la nécessité de se lancer dans une grève reconductible, seul moyen d’avoir le temps de préparer des actions différentes des manifestations classiques. De fait, une vingtaine de personnes se met en grève reconductible trois jours sur cinq trois semaines de suite… Bien-sûr, la grève n’est pas totalement reconductible, mais la réalité gersoise est aussi que nous sommes le seul établissement scolaire à être si fortement mobilisé. Le Gers est un département très rural et peu densément peuplé dans lequel les établissements scolaires sont loin les uns des autres. Les enseignants grévistes sont souvent isolés et peuvent avoir le sentiment que "ça ne sert à rien" de se mobiliser, car tout seul, on ne change pas grand-chose. D’où l’idée d’aller à la rencontre de nos collègues sur les jours de grève reconductible.
La caisse de grève a tout d’abord été lancée par la vente de gâteaux sur le marché. Puis, via un site internet. Sa gestion a été évolutive. D’abord créée pour soutenir les personnels percevant les plus faibles rémunérations, elle s’est étendue au fur et à mesure à tous les personnels et a donné lieu à la motion suivante pour clarifier son fonctionnement.
Principes de la caisse de grève votés à l’unanimité le mardi 21/03/2023 en assemblée générale.
Cette caisse de grève ne compensera pas nos pertes de salaire, mais a pour but de soutenir le mouvement de grève pour qu’il dure jusqu’au retrait de la réforme des retraites.
Pour ce qui est des agents, AED, AESH, et professeurs contractuels, nous pouvons abonder pour tous les jours de grève du 19/01/ 2023 au vendredi 24 mars 2023.
Pour ce qui est des professeurs non contractuels (titulaires) les jours de grève seront aussi comptés du 19/01/2023 au vendredi 24/03/2023, mais la somme retenue sera la moitié de celle donnée aux catégories précitées.
Ceci afin de garantir la plus grande équité.
Chacun est libre d’accepter l’aide de la caisse de grève ou de la remettre dans le pot commun s’il juge n’en avoir pas besoin.
Il est à noter que si certaines centrales syndicales : CGT/ sud solidaire ont abondé à notre caisse de grève, reconnaissant en cela l’intensité de notre mobilisation, d’autres confédérations en revanche ne se sont pas senties concernées !
L’aspect horizontal de la lutte rencontre une forme de solidarité ou pas…
La caisse de grève a permis d’instaurer une solidarité qui a modifié le rapport de classe entre enseignant et AED ou agent d’entretien. Depuis, les rapports de classe qui existaient et la division artificielle entre travailleurs en un même endroit se sont fissurés, laissant place à une réelle solidarité.
À l’heure de la rédaction de cet article, la lutte n’est pas terminée et il est difficile de savoir si notre détermination l’emportera. Cependant, il faut espérer que la lutte partagée aura ancré dans les esprits que la préservation des acquis sociaux sera bien l’œuvre des travailleurs eux-mêmes, décidant des formes de leur lutte.