Souriez, vous êtes filmés !
Publié le 21 octobre 2017
Une vieille femme dépose à coté d’un container un sac plein de bouteilles vides. Alors, une voix formidable se fait entendre : « Madame, videz-le sac ! Il faut mettre les bouteilles dans le container, sinooon ... ». Surprise, effrayée, la dame s’exécute. Les rares personnes présentes interloquées s’arrêtent pour regarder la borne d’où semblait provenir la voix. Apercevant, en haut d’un mur, une caméra braquée dans leur direction, tous prirent un air pressé et repartirent en silence.
Non, cette scène n’est pas extraite du livre « 1984 » de Georges Orwell, ni du »Meilleur des Mondes » de Aldous Huxley, même si certains passages de ces livres, décrivant un futur de cauchemar, y ressemblent. Non, il s’agit simplement d’une scène de la vie quotidienne vécue dans une ville moyenne, dans la France de 2017. Multiplication des caméras de surveillance, des bornes anti-effractions, des polices municipales souvent armées ; nombre d’équipes municipales jouent de l’argument sécuritaire pour se faire élire et donc des scènes comme celle décrite précédemment, autrefois preuves pour des auteurs de romans mettant en scène le totalitarisme de la société future qu’ils décrivaient, sont devenues banales et acceptées par la majorité des populations.
Il y a moins d’un siècle, tout individu normalement attaché à la protection de ses droits aurait considéré comme une atteinte intolérable à sa dignité d’Être humain, comme une violation de ses droits fondamentaux, le fait d’être surveillé et contrôlé dans ses activités quotidiennes par les autorités. Aujourd’hui, la chose est devenue si banale que très peu de personnes la dénoncent.
Pour justifier leur politique sécuritaire, les municipalités mettent en avant des avantages telle la baisse de la criminalité ou une tranquillité accrue pour les habitants. En fait, si nous regardons bien les chiffres de la criminalité, cet argument semble fallacieux : depuis de nombreuses années les chiffres de la criminalité sont globalement assez stables malgré ce que la lecture ou l’écoute des medias pourrait nous laisser croire. Bien sûr, la phobie sécuritaire touche aussi les particuliers. La peur de l’autre, de l’étranger, du pauvre est devenue une obsession pour beaucoup de gens et, miracle du capitalisme, une extraordinaire panoplie de solutions est, moyennant finances, offerte aux personnes pour apaiser leurs angoisses. Ainsi, leur sont vendus : portes blindées, alarmes sophistiquées, systèmes de vidéo-surveillance, sociétés de gardiennage, résidences ultra-sécurisées, … le marché de la sécurité est devenu colossal, et la peur est un formidable instrument de vente dont savent jouer avec habileté les as du marketing et de la publicité. L’État, lui non plus, n’est pas en reste car en tant que garant de la sécurité des biens et des personnes, il consacre, depuis toujours, une part importante de son budget à ces postes (intérieur et défense). Pourtant, il se veut, aussi, respectueux de la liberté des individus et soucieux de ne pas empiéter sur leur droits fondamentaux : liberté d’expression, de mouvement, de pensée, etc. Or, depuis 1985, l’apparition de la menace terroriste l’a amené à réagir en prenant des séries de mesures qu’il est intéressant d’analyser.
En 1986, est mise en place une législation sur le terrorisme ; elle permet la prolongation de la garde à vue jusqu’à 120 heures et autorise les perquisitions à toute heure, à la demande d’un magistrat. Au cours des années suivantes, cette législation ne cessera d’être renforcée. A partir de 1995, toujours sous prétexte de lutte contre le terrorisme, l’État activera le plan Vigipirate qui se déclinera avec des intensités variables, en fonction de la présumée menace. L’objectif de ce dispositif est d’abord de « développer et de maintenir une culture de la vigilance de l’ensemble des acteurs de la nation afin de prévenir et de déceler, le plus en amont possible, toute menace d’action terroriste » et, ensuite, de permettre une réaction rapide. Depuis 1995, les français ont pris l’habitude d’entendre dans les lieux publics des messages leur enjoignant de surveiller les bagages de leurs voisins ou de dénoncer les personnes qui leur semblaient suspectes. Ils se sont habitués à la présence de militaires armés (opération sentinelle) patrouillant dans les rues, à ouvrir leurs sacs pour entrer dans des musées, à être contrôlés à tout bout de champ.
L’opération Vigipirate qui, au début, nous avait été présentée, sans doute pour la rendre acceptable, comme devant être de courte durée (22 ans cette année !) a donc contribué, suivant la jolie expression d’un sociologue, à « l’intensification de la militarisation du quadrillage urbain et à l’emploi de l’armée dans une fonction policière ».
En novembre 2015, en réaction à des attentats islamistes très meurtriers, le gouvernement décide d’instaurer l’état d’urgence. Mesure d’une gravité tout à fait exceptionnelle puisque l’état d’urgence, inventé en 1955, n’a été mis en œuvre, en métropole, que 4 fois en 60 ans. Depuis 2 ans, pour nous protéger de la menace terroriste, nous vivons sous ce régime d’état d’urgence. Cela signifie, de fait, que les garanties qui protègent nos droits et libertés sont gravement restreints. Ainsi, au mépris de tous les principes qui régissent le fonctionnement des démocraties, les pouvoirs de l’exécutif (préfets et ministre de l’intérieur) sont fortement accrus et les prérogatives des contre-pouvoirs sans cesse rognées. L’exécutif peut décider, seul, d’interdire la circulation des personnes dans certaines zones, de dissoudre des associations, d’autoriser des contrôles d’identité, d’interdire des personnes de séjour, d’assigner certaines personnes en garde-à-vue, d’ordonner la fermeture de salles de réunion, de spectacles ou de débits de boissons, d’interdire des réunions ou des manifestations, de faire procéder au blocage de sites internet, etc. Les préfets et le ministre de l’intérieur se trouvent ainsi dotés de pouvoirs clairement discrétionnaires, et ils en usent sans compter. Les chiffres parlent. En 2 ans, ils ont fait procéder à plus de 4300 perquisitions, assigner à résidence - pour des périodes plus ou moins longues - près de 700 personnes, prononcer 21 interdictions de manifester et 540 mesures individuelles d’interdiction de séjour. Ce n’est pas rien … surtout lorsque l’on découvre que le gouvernement a usé de ces pouvoirs exceptionnels, pour faire taire des voix discordantes dans des affaires qui n’ont rien à voir avec le terrorisme. Amnesty International, dans un rapport du 31 mai 2017, dénonce « l’usage massif des interdictions de séjour et des assignations à résidence pour des motifs d’ordre public qui n’ont rien à voir avec le terrorisme ». Ainsi, nombre de militants anarchistes ou anarchosyndicalistes, de militants d’extrême-gauche ou simplement écologistes ont été assignés à résidence pendant la COB 21. C’est une manière de limiter la contestation et d’effrayer les indécis. C’est un paradoxe extraordinaire que des gens qui sont athées, anti-religions, soient privés de liberté en vertu de lois prises pour lutter contre le fanatisme religieux. Mais l’État ne semble guère embarrassé par ce genre de contradictions.
M. Macron nous a promis de mettre un terme à l’état d’urgence, mais il n’y a pas lieu de s’en réjouir car, et ainsi notre nouveau président prouve ses talents de joueur de bonneteau, la plupart des mesures qui sont en vigueur actuellement seront, à compter du 2 novembre 2017 (fin de l’état d’urgence), transposées dans la loi ordinaire. Grâce à ce tour de passe-passe, l’état d’urgence devient l’état normal et habituel. Il faudrait que la société, la population s’habitue à vivre avec ... Il faut que tout change pour que rien ne change, le vieil adage n’a jamais été aussi vrai et sous l’oeil attentif des caméras de surveillance dans les rues, les garanties démocratiques qui régissaient le fonctionnement de nos sociétés et nos libertés personnelles diminuent sans cesse.