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GREVE DES SAISONNIERS AGRICOLES DU MAS RIOLS (P.O)

Publié le 27 février 2006

Les Pyrénées-Orientales sont un département largement rural avec de nombreuses productions saisonnières (vendanges, cueillettes, etc.). La précarité est une tradition quasi "culturelle" de ces activités, où la main d’œuvre s’achète à vil prix et de préférence quand elle est immigrée sans papiers, c’est à dire à l’entière merci d’un patron féodal. Mais il arrive que les esclaves en aient marre et se rebiffent. C’est ce qui s’est passé au Mas Riols. Des compagnons, habitants du village, se sont solidarisés avec la lutte spontanée, qui en même temps qu’elle commençait à se structurer elle-même a vu arriver les "gestionnaires-pompiers" de la CGT, et leur sabotage de l’auto-organisation. Récit d’une reprise en main syndicale...

  Chronologie

Mercredi 23/11 : première rencontre avec les grévistes du mas Riols à Latour Bas Elne (66). Il s’agit d’une grosse propriété agricole de maraîchage de 130 hectares. Le patron dispose également d’autres propriétés en Ile-de-France. En tant qu’habitant d’Elne, j’apporte mon soutien. Il s’agit de dix-sept ouvriers agricoles Portugais, de six Roumains et d’un Marocain, qui réclament plusieurs mois impayés. Certains sont logés sur place, dans des conditions misérables. Tous occupent la ferme en campant et en bloquant un camion. La discussion s’engage. Ils ont attaqué le patron aux Prud’hommes. Ils expliquent qu’ils ont fait venir la Direction du travail... qui est venue avec la PAF (Police de l’air et des frontières, qui traque les sans papiers). Moralité télévisée (déjà la télévision !) : les Roumains se retrouvent au centre de rétention de Rivesaltes et expulsés. Deux jours après, l’un d’eux appelle de Roumanie...

Jeudi 24/11 : je vais vérifier à la Chambre d’agriculture puis à la Mutualité sociale agricole, (MSA, la caisse de sécurité sociale spécifique des professions agricoles) le numéro de SIRET (numéro de registre unique spécifique à l’employeur) du patron. Le numéro ne correspond pas à celui des bulletins de salaires ! Normal, m’est-il expliqué : c’est un groupement d’entrepreneurs qui possède plusieurs domaines dans les Pyrénées-Orientales et en Ile-de-France. Affolement des ouvriers. Je propose de prendre le camion de la ferme et d’aller vendre directement les produits sur les marchés. Réticence des grévistes déjà culpabilisés par le fait de faire grève. Proposition de faire des banderoles. Après hésitation, ils acceptent.

Une voiture de la mairie s’arrête : c’est le secrétaire de mairie P.C. :

  • "Vous n’avez besoin de rien ?"
  • Du bois pour du feu.
  • Et vous Monsieur vous n’avez pas d’accent !
  • Eh ! non, je l’ai perdu depuis longtemps. Pourquoi, il en faut un ?"

J’avertis des copains, nous revenons et expliquons qu’il leur appartient d’écrire ce qu’ils veulent, que durant leur lutte ils ne doivent avoir confiance qu’en eux et ne pas faire confiance aux autres, ni même à nous. Ils confectionnent leur banderole "OUVRIERS DU MAS RIOLS EN GREVE" et l’accrochent à l’entrée de la ferme le long de la route, bien visible.

Vendredi 25/11 : la banderole est toujours là, le feu brûle, le bois municipal ne manque pas, la grève continue. Une voiture s’arrête : "Bonjour je suis de la CGT, je viens de Montpellier pour m’occuper de vous".

La télé arrive quelques minutes plus tard. Le permanent CGT s’assied à l’unique table en plein air et fait semblant d’écrire. Les Portugais sont sollicités par la télé mais ne sont pas habitués à ces mises en scène, et de plus ont des difficultés à s’exprimer en français :

  • "Il me doit quatre mois de salaire mais les Roumains ont travaillé et ils ont été embarqués sans être payés, et il y a l’Arabe qui habite sur un autre mas, à lui il lui doit onze mois",
  • "Putain c’est pas normal, les esclaves on les nourrissait, nous : rien !"
  • "A moi il me doit deux mois, hier le patron est sorti et m’a mis un chèque dans la poche, je le lui ai jeté : il nous paye tous ou personne".

La seule chose qui passe à la télé, c’est la CGT faisant semblant de prendre tout en mains. Et la banderole. Les Portugais font la gueule. Ils décident de faire une autre banderole : "EN GREVE DEPUIS LE 18 NOVEM-BRE. 3 - 4 - 5 MOIS SANS PAYE. CONGES ET HEURES SUPPLEMENTAIRES NON PAYES."

Le permanent CGT de Montpellier est venu accompagné d’un administrateur de la M.S.A. Première tentative CGT, à propos du Marocain (onze mois de salaires et une retraite énigmatique, en maladie après une crise cardiaque dans un sillon de salade, transporté et opéré à l’hôpital) : "Celui-là, on va le négocier à part".

Je gueule aux Portugais : "Il n’y a rien à négocier, il faut faire les totaux pour chacun avec les heures sup. Ils payent tout et tout le monde. C’est ce que vous avez décidé, non ?". C’est sûr, on bouge pas d’ici.

La CGT comprend qu’elle ne va pas conclure l’affaire en un coup de brosse : - "Bon, on va négocier les retards de salaires, vous libérez les véhicules et pour les heures supplémentaires, on verra plus tard."

  • Les grévistes : "C’est pas normal, on veut tout, on ne bouge rien, le camion ne bouge pas, les tracteurs ne bougent pas."

Nous prenons la parole pour dire que les patrons doivent payer les jours de grève. Il y a eu grève, non pour des revendications salariales mais pour des salaires impayés. Il faut bouffer, payer un loyer, etc. etc. S’ils ont fait grève, c’est la faute des patrons. Discussion vive, ils ne sont pas très chauds (c’est pas normal d’être payés sans travailler !). Décision tout de même : "On veut qu’il paye les jours de grève !".

Négociations CGT-employeur-ou-vriers. Ils vont percevoir les salaires et avoir les fiches de paye. Rien pour la grève. Rien pour le Marocain. Nous partons dans son taudis pour l’aider à trier ses papiers (Il est logé par l’employeur dans une pièce insalubre d’un mas voisin, sans eau, sans chauffage, table de camping, réchaud. Le mas appartient à l’hôpital de Perpignan !). Nous mettons les papiers sous le nez de la CGT ! Il est à la retraite ! Il croyait qu’il était en maladie, il a des bulletins de salaires 2004 mais maintient n’avoir pas été payé ! Les Portugais confirment.

18 heures, une voiture, quatre mecs descendent dans la nuit avec leurs badges fluo : "Bonjour Messieurs nous sommes la CGT de la mairie d’Elne, nous venons vous soutenir !". Après 8 jours de grève, la bande des 4 cégétistes d’Elne fait semblant de s’intéresser à la grève, propose un soutien de la mairie et demande au Montpelliérain :

  • "Et vous Monsieur, qui êtes-vous ?"
  • Réponse de l’intéressé : "Je suis de la CGT agricole de Montpellier". Malaise des CGTistes ! ...

Des ouvriers portugais viennent de temps en temps soutenir, ils ont tous travaillé ici, en sont partis écœurés. Le Marocain nous explique : eux aussi ils ont été "baptisés"... Aucun autre soutien agricole voisin. Le soutien viendra le lendemain, non sous la forme de la CGT municipale, mais celle du Secours populaire "envoyé par la mairie" : café, huile, sucre, riz au lait à volonté, pâtes, et du couscous ! Le Cégétiste de la MSA a embarqué le Marocain pour photographier son taudis.

Week-end calme. Nous passons tous les jours. Après ça s’accélère. Un copain a été reconnu par la CGT comme étant de la CNT-AIT. Le Montpelliérain de la CGT et l’administrateur MSA ont mis leurs badges qu’ils n’avaient pas portés jusque là !... L’argent a été viré, des fiches de paye établies. Rien pour le Marocain. Le CGT-MSA dit que le Marocain a des retards de versement maladie qui lui seront versés par la MSA et que l’employeur ne verse pas beaucoup de cotisations... Mais ça gueule de nouveau, à l’un il manque 1000 euros, à l’autre 2000. Renégociations CGT-ouvriers-employeur : les heures supplémentaires sont payées sous forme de primes de panier et de trajets (certains habitent sur place...). Nous faisons valoir que les heures supplémentaires qui ne figurent pas sur les bulletins sont autant de moins de déclaré à la MSA et donc comptabilisées en moins pour leur maladie-retraite. La CGT leur dit : "Ça on verra plus tard !... ". La télé câblée arrive, demande aux Portugais : "Faites-nous une déclaration".

La réponse des Portugais ne se fait pas attendre : "Putain, on parle, on parle et il ne passe rien à la télé ! Qu’est-ce que ça veut dire ?". Le câble repart.

  Négociations

Les discussions ouvriers-CGT se tenaient en notre présence, le lieu s’éloigne petit à petit durant la journée jusqu’à se tenir dans une pièce (sous prétexte qu’il fait du vent). La CGT commence à nous exclure. Une ouvrière portugaise s’arrête pour engueuler les deux autres, et son mari : elle est partie du mas, elle a assigné l’employeur au tribunal, son mari ne lui avait pas dit qu’ils étaient en grève depuis plus de dix jours ! Elle gueule : "Qui a dit au syndicat de venir ? On ne veut pas de syndicat ! Il n’y a rien à négocier !".

 

Malaise.

Le Marocain reste avec nous et ne veut pas aller au bureau, nous le poussons presque ! La gendarmerie vient faire un tour pour "voir s’il y a des Roumains". Accélération d’allers-retours incessants chez l’employeur qui se tient depuis une semaine et toute la journée à la disposition du délégué CGT. Les cégétistes ne nous adressent plus la parole. Fin de soirée : un ouvrier nous apprend que la CGT a négocié : "Vous avez reçu ça, vous reprenez le travail !". Nous voulons participer à la discussion : refus de la CGT qui tente de fermer la porte de force. Je demande aux grévistes s’ils sont d’accord avec ça : pas de réponse. Le cégétiste gueule : "C’est moi qui décide !".

On s’en va, ils ont mon téléphone. Le lendemain nous y retournons à deux pour récupérer des outils, ils sont gênés de leur attitude, disent qu’ils se sont aperçus du comportement CGT qui tendait à nous isoler mais ne sont pas plus enthousiastes que ça pour nous voir revenir. Ils disent vouloir continuer la grève jusqu’à ce que tout soit réglé. Pour le Marocain rien n’est réglé. La mairie d’Elne et la MSA disent qu’ils vont s’occuper de lui trouver un appartement.

  Épilogue

Deux copains retrouvent les ouvriers au Tribunal ! Le Montpelliérain CGT est toujours là ! Et la télé ! Et la radio ! Ils sont venus assister au procès de l’employeur pour l’emploi des Roumains (pour ces derniers, bien entendu, aucune négociation de salaires clandestins, soit un gain patronal de plus de 10 mois de travail par ouvrier). Le cégétiste discute avec l’avocat des Portugais, ils ne paraissent pas d’accord. Aucune information ne filtre, les Portugais sont distants. Dans le hall du tribunal, le délégué régional CGT leur donne rendez-vous au local de la CGT d’Elne pour qu’ils prennent leurs cartes : à tarif réduit compte tenu de la grève et de la proximité de Noël ! ...

A ce jour début janvier, après avoir rencontré des grévistes du Mas Riols il s’avère :

  • que tous les grévistes ne travaillent plus au Mas,
  • qu’ils n’ont encaissé que le minimum qui a été négocié, c’est-à-dire :
    - que les heures supplémentaires n’ont pas été payées.
    - que les congés payés n’ont pas été réglés.
  • que l’exploitation refonctionne avec de nouveaux travailleurs, mais maghrébins cette fois (c’est une façon de s’assurer que la transmission de l’historique de la lutte sera plus difficile, ne serait-ce que pour des raisons linguistiques ... diviser pour mieux régner... NDLR).
  • que le vieux Marocain n’a rien touché et vit toujours dans des conditions déplorables dans son taudis malgré les promesses de relogement...

  Interrogations minimales

A la suite de cette expérience, il nous a semblé important d’établir une liste des questions minimales que devrait se poser tout militant sincère :

  • Qui a envoyé la CGT ?
  • Pourquoi la CGT de Montpellier et pas celle de Perpignan ?
  • Pourquoi l’Union régionale CGT a-t-elle mobilisé un délégué durant plus d’une semaine près de 12 heures par jour, alors qu’aucun des ouvriers n’était syndiqué à la CGT ?
  • Pourquoi l’employeur a-t-il négocié avec la CGT ?
  • Pourquoi l’Union départementale CGT ne s’est-elle pas manifestée ?
  • Comment et pourquoi 4 syndiqués CGT, employés de la mairie d’Elne, venus "soutenir" ne savaient pas que la CGT de Montpellier était déjà sur place ?
  • Comment le Groupement d’employeurs (GE) a-t-il fait venir des ouvriers roumains clandestins ?
  • Quelles sont la réalité et l’actualité des cotisations patronales du Groupement d’employeurs (G.E.) auprès de la Mutualité sociale agricole (M.S.A) ?
  • Comment et pourquoi le G.E dispose-t-il d’une immense propriété appartenant à l’hôpital et, qui plus est, y loge un ouvrier dans des conditions ignobles ?

Cette lutte aurait pu être le début de quelque chose d’exemplaire pour la région... Mais il ne fallait pas que le lait déborde de la casserole...

CNT AIT 9 rue Duchalmeau
66000 PERPIGNAN
(texte rédigé le 24 janvier 2006)

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